Un mardi place Saint Pierre
Si je suis venu avec queslques ami.es place Saint Pierre ce mardi premier juin, ce n’est pas dans l’espoir de voir le Pape. Ici, à Bar le Duc, se joue une cérémonie d’un tout autre ordre : c’est le premier acte du procès de nos sept camarades, dans le très théâtral tribunal de grande instance. Le vrai procès, celui de Cigéo et son monde, se déroule sur la place publique. Ceinturée par l’église, la prison et le palais de justice, surplombant la « ville basse », ce lieu illustre les enjeux que symbolisent le Nucléaire et les années d’enquêtes qui ont conduit à ces trois journées : un État vertical et répressif, la compromission des institutions « publiques » et le désir de toute puissance du clergé de l’Atome.
A notre arrivée sur la place, les derniers barnums déplient leurs jambes en aluminium en rythme avec la sono de l’Acti-danse Nuclé’hair. Les danseurs et danseuses pailleté.es de violet suivent – toujours avec le sourire ! – la chorégraphie impulsée à tour de rôle par des profs de gym suédoise improvisés. Soutiens, prévenus, tout le monde danse sous le regard interdit des flics qui se demandent sûrement pourquoi le « chef » change à chaque chanson.
Après cet échauffement matinal, les neufs avocat.es de la défense se présentent à l’entrée du tribunal, suivi.es des inculpé.es. Les applaudissements, accolades et autres chants de soutien ne manquent pas. Le public commence à être présent en nombre et la fréquentation de la place ira crescendo jusqu’au temps fort de 14h. Les témoins sont également sommés de se présenter brièvement à l’entrée du tribunal, avec que congé ne leur soit donné jusqu’au lendemain après-midi. Covid oblige, les places dans le tribunal sont limitées, malgré l’ouverture d’une salle de retransmission pour les journalistes. La presse est en effet venue en nombre , qui pour venir étudier les « anti-labo» qui pour voir le point d’orgue de cette épopée judiciaro-politique. Les soutiens auront bien du mal à se frayer un chemin dans l’enceinte du tribunal, les entrées ne se faisant qu’au compte goutte.
Fort heureusement, le tribunal du procès de Cigéo qui débuta à 10h était lui grand ouvert aux militant.es et aux curieus.es présentes sur la place. Dans une interprétation plus ou moins libre du droit, les réquisitoires (très à charge) pointent les nombreux manquements techniques, démocratiques, philosophiques et répressifs du projet d’enfouissement. La performance de nos magistrats d’un jour fut saluée par le public tandis que dans l’ambiance plus feutrée du tribunal nos ami.es inculpées faisaient leurs déclarations à la cour.
En effet, ces déclaration seront la seule occasion qu’aura la défense de s’exprimer ce jour, qui se poursuivra par le résumé monotone des 180 pages de l’ordonnance de renvoi du procès, qui doit également se poursuivre l’après midi.
En attendant l’heure du repas préparé par la cantine nancéienne des Gargouilles, le public se présente aux nombreux stands présents sur la place : brochures, maquillage, associations locales et nationales, crêpes, produits paysans et autres présentation des évènements de l’été. Les ateliers couverts ne tarderont pas à rencontrer un succès tout particulier car l’azur immaculé commence à laisser ses premiers coups de soleil sur les épaules encore habituées au crachin des semaines précédentes. On saluera ainsi d’autant plus l’adresse de notre amie boulangère affairée à faire danser les pâtons à côté de son étonnant four à bois mobile.
Peu après 13h, l’audience est suspendue jusqu’à l’après midi et les prévenu.es peuvent enfin rejoindre leurs soutiens qui les acclament et témoignent à grands renforts de chants de leur opposition à l’ANDRA, la Justice autres représentants de l’autorité publique. Bien des personnes sont arrivées depuis leur entrée dans le tribunal et l’ambiance est festive et colorée. J’y croiserai des têtes connues, issues des nombreuses composantes de la lutte contre le nucléaire d’ici et d’ailleurs, des camarades de diverses luttes sociales et écologistes, ainsi que des amie.es meusien.nes et haut marnais.es venu.es montrer leur opposition à ce projet si déterminant pou l’avenir de ces territoires. Un compte-rendu du procès sera donné au public peu de temps après.
14h, l’heure de la déambulation approche ! Les tenues violettes à sequins, clin d’œil aux fantasques allégations du dossier pénal qui prétend qu’elles auraient servies de signe distinctifs aux «chefs» de la manifestation du 15 août 2017, donnent au cortège sur le départ une allure joyeuse où les identités se fondent, bien loin des ambiances surannées des habituelles manifestations barisiennes. Le rythme de la marche est donné par le tracteur d’un emblématique agriculteur de la lutte qui a été pour l’occasion équipé d’une sono aux rythmes enlevés. Le cortège, laissant sur sa droite l’Hôtel de département, dévale l’épingle qui le sépare de la partie basse de la ville, qui aura enfin accès au fantastique spectacle d’une lutte heureuse de se retrouver, fût-ce dans l’adversité d’une audience aux enjeux si grands. Aux sombres auspices envoyées par la mairie de la ville qui aura fait tout son possible pour discréditer et compliquer la tâche aux opposant.es à Cigéo, les centaines de personnes répondront par un climat de fête et de détemination tout au long de l’avenue de la Rochelle. Fumigènes dans le ton du dress code, groupes en mixité choisies, concerts ambulants, battucada et banderoles reflets de la multiplicité des manifestant.es la manifestation avait déjà tout pour être réussie.
Mais, bien au delà des attentes, à procès hors du commun, rebondissement exceptionnel. En effet, les prévenu.es sont présent.es dans le cortège ! La défense, ayant dit ce qu’elle avait à dire ce jour, a en effet fait valoir son droit de manifester. C’est avec grande joie que nous avons pu échanger avec celles et ceux que la répression aura choisi de frapper il y a plus de trois ans de cela. La chape de plomb des années difficiles à Bure et des restrictions de libertés des périodes récentes semble s’être levée cette après-midi. Le juge, ayant fini sa lecture du dossier devant les deux avocats restés pour l’écouter, s’est résolu à remettre la suite des débats au lendemain matin.
Les marionnettes, représentant un magistrat, un sénateur et un gestionnaire du foncier de l’ANDRA, rejoindront à nouveau la place St Pierre. L’heure est maintenant aux déclarations de différentes associations de malfaiteurs, venues témoigner leur soutien et visibiliser ce dispositif de criminalisation des luttes. Les échanges sont à la mesure des chamboulements imposés aux vies des personnes frappées par ce dispositif hérité des lois scélérates. D’autres collectifs en lutte viennent à leur suite faire part de leur engagement à la foule.
Les visages colorés tant par la joie de lutter ensemble que par les ultraviolets sournois de l’après midi se retrouvent ensuite pour les chorales révolutionnaires des villes environnantes, rapidement rejointes par des choristes au sein du public. L’heure de quitter la place approchant, les barnums et autres tables de presse se replient, tandis que les radios amies venues couvrir l’évènement rangent enregistreurs et bonnettes. Un convoi de véhicule se forme pour le retour dans les environs de Bure afin de manger ensemble et d’assister à la projection du dernier film du collectif des Scotcheuses, « Après les Nuages ».