Le 21 décembre, une dizaine de personnes étaient convoquées au tribunal de Bar-le-Duc. Procès? Nouvelles mises en examen? Non. Seulement le juge d’instruction qui, à quelques jours de Noël, ouvre ses cadeaux – pardon ses scellés – en avance. Des mis.es en examen nous ont envoyé deux récits de cette drôle de perfor(m)ance rituelle, qui leur aura au moins permis de se croiser enfin sans s’exposer mutuellement à des violation de contrôle judiciaire!
Ce matin là…
Ce matin-là, avant d’entrer dans le tribunal, quatre personnes qui n’ont pas le droit de se parler depuis des mois se sont donné la main, mais à travers les mains d’autres personnes, pour que se donner la main, se toucher, sentir la vie de l’autre, ne se paie pas de l’enfermement.
Et nous avons chanté et dansé en rond, comme à l’époque où l’organisation de manifs, de festivals, de rencontres, se faisait sans se demander si cela allait être passible de plusieurs années de prison.
Ce matin-là, dans la salle d’audience, j’ai entendu mes co-inculpés faire rire le juge et rire eux-mêmes de la situation absurde dans laquelle nous étions, à regarder ainsi des paperasses associatives, des chéquiers, des relevés de compte, des bilans financiers passer du statut de scellé fermé, sous plastique, au statut de scellé ouvert et perforé, pour y passer une ficelle et accrocher un scotch rouge portant l’inscription « Ne pas ouvrir ». Des photos de festivals, de campements, des documents déjà vieux, des tracts et des brochures, des hiboux express, furent crevés à la perceuse, mouraient, devenaient inertes. Scellés.
Ce matin-là, au sortir de ce rituel insensé, nous nous sommes pris dans les bras avant de nous quitter à nouveau pour le temps qu’il reste avant la fin de ce délire, et j’ai repris espoir, j’ai eu moins peur, je n’avais plus envie de pleurer tout le temps. Grâce à la force de ces étreintes et de ces quelques mots de solidarité bouillante, je n’imaginais plus comme possible que l’un de nous aille en prison pour avoir trop aimé le monde.
Des p’tits trous, des p’tits trous…
Ca fait chaud au coeur, dans ces moments pénibles d’arriver sur le parvis du theatre de grande instance de Bar le Duc, et d’y voir tous ce monde, là, déterminé comme toujours, le sourire aux lèvres.
A peine le temps de boire un thé ou un jus de pomme chaud, de chanter une petite chanson et de se tenir les mains en faisant parcourir une impulsion entre nous que l’horloge sonne l’heure du rendez-vous.
Ambiance rentrée des classes au mois de septembre, salle d’audience toute neuve, la lourdeur de l’institution et nos manteaux colorés qui sèchent sur le radiateur.
Le Juge nous exe-pli-que pour etre sûr qu’on a bien com-pris. Pour lui, aujourd’hui c’est atelier de travail manuel. Faire des trous dans des feuilles, passer une petite ficelle avec une étiquette, mettre un ptits bouts de scotch ; quand c’est plus gros, comme les photos des travaux de la maison, magnifiques, plastifiées qui documentent une histoire d’il y a dix ans, le gendarme sort la perceuse. Ca fait mal au coeur tant de ridicule. L’espoir nous vient que le Juge a enfin décider d’instruire à décharge et qu’il tente de prouver à quel point on est des gentil.les!
Monsieur Ange, de la cellule Bure, parait quand à lui déçu par ces cadeaux de Noël. A la vue des brochure « couarail n°3 » et « La Meuse, ses éoliennes, ses flics », il soupire « je les ai déjà » et oui, on est pas à l’abris des doublons quand on est trop gourmand. Enfant gâté, petit ange est-il en colère contre le père Noël? A nos sarcasme, il répond savoir exactement où il va, nous tout ce qu’on voit c’est qu’il y va à la rame, remontant péniblement le fleuve de son mauvais roman policier.
Le changement d’état des scellés de « fermé » à « ouvert » prend des plombes, 4 heures égayées ça et là par une petite rengaine… « des ptits trous, des ptits trous » du Poinçonneur des Lilas fredonné avec un amour révolutionaire.
Au final, dans ce fratras de vieux papiers, on a quand même retrouvé le fameux panneau « CIGEO, je dis de NON » de Nicolas Hulot. S’il veut le récupérer, il doit écrire une lettre à Kevin, je suis sure que ce dernier se fera un plaisir de lui rendre.
Au cours de cette matinée, témoins assistés et mis en examen, nous avons pu nous regarder, nous toucher et nous dire qu’on s’aime alors que l’on en est injustement privés au delà de ces murs. Nous voilà dehors et de nouveau enfermés dans notre contrôle judiciaire, obligés de se séparer sur les marches du palais. Petit pincement au coeur, même s’il l’on sait que c’est pour mieux se retrouver quand il sera temps.
Une pensée pour tou.tes les victimes d’un système judicaire inique, qui nous humilie et s’humilie par la même occasion, qui défend les empoissoneurs de champignons et emprisonne les cueilleurs de poème!
A bientot, ici et ailleurs!