Ces derniers mois – avec le mouvement social et les multiples fronts ouverts par la volonté gouvernementale de relancer la filière nucléaire – nous n’avons pas été très assidu·es pour transmettre les infos liées aux différentes affaires qui nous touchent.
La répression n’a pourtant pas disparu. Elle est certes moins forte que par le passé, moins frontale, moins évidente, mais elle continue de faire partie du quotidien des militant·es antinucléaires. Et cela risque de continuer, quand on voit la détermination avec laquelle ce gouvernement réprime toute forme de contestation, par la force de sa police, de sa justice ou de ses parlementaires zélés (la nouvelle loi d’accélération des procédures liées aux constructions de nouveaux réacteurs, votée le 16 mai, double au passage les peines encourues en cas d’intrusion dans une centrale ou un site de stockage : ce sera désormais 3 ans et 30.000 euros d’amende).
1. L’affaire dite de « l’association de malfaiteurs »
Des relaxes partout et 3 condamnations minimes
En janvier dernier, la cour d’appel de Nancy a rendu son verdict. À beaucoup d’égards, c’est une victoire : la plupart des accusations sont balayées, de nombreuses relaxes sont prononcées ou confirmées, l’association de malfaiteurs – charge principale retenue contre une partie des sept accusé·es – a définitivement disparu. Ne reste « que », pour trois d’entre elles·eux, une condamnation à 4 mois de prison avec sursis pour avoir participé à la manifestation du 15 août 2017 et ne pas s’être dispersé·es après les sommations.
Ce verdict confirme ce que nous avons dit et écrit pendant des années, ce que les avocat⋅es ont plaidé en première instance et lors de ce second procès en appel : tout ce dossier, toute cette instruction pour association de malfaiteurs, visait avant tout à casser un mouvement de lutte. Il s’agissait de séparer les personnes, de les empêcher de s’organiser et de criminaliser l’ensemble de l’opposition au projet d’enfouissement. Au bout du compte, après des années d’enquête, de surveillance, d’écoutes, de gardes-à-vue, de contrôles judiciaires ou de détention, d’argent public dépensé, non seulement il n’y a pas d’association de malfaiteurs mais il n’y a plus de malfaiteurs du tout. Il y a seulement trois personnes dont la justice estime qu’elles ont participé à une manifestation (non déclarée mais pas interdite non plus) et qu’elles ont continué de le faire, avec des centaines d’autres, une fois que la gendarmerie avait jugé qu’il fallait que chacun·e rentre chez soi (c’est-à-dire 15 minutes après le début de la manifestation).
Un dossier vide de preuves
La cour d’appel de Nancy appliquant une lecture du droit autrement moins fantaisiste que celle du tribunal de Bar-le-Duc. Ainsi, au fil de son verdict, elle démonte un dossier qui s’effondre sur lui même tant il apparaît mal conçu, criblé d’erreurs et d’imprécisions. À propos d’une personne ayant déjà passé huit mois en prison pour cette affaire, on lit par exemple : « Il y a lieu de constater une indigence d’éléments de preuve qui permettraient d’imputer le délit précité au prévenu. » Partout, les relaxes sont prononcées parce qu’il n’y a rien pour caractériser les faits pour lesquels les personnes ont été poursuivies – et condamnées à de lourdes peines en première instance. La bande organisée, ultime résurgence de l’idée d’une structure criminelle, n’en finit plus de briller par son inexistence : il n’y a pas de preuve d’un plan, dit la Cour, pas de preuve d’une structure hiérarchisée, pas de preuve d’identification irréfutable d’une personne masquée, pas de preuves d’intentions délictuelles, pas de preuve qu’untel ou unetelle a bel et bien organisé cette manifestation… Il n’y a de preuve de rien dans ce dossier, si ce n’est la preuve qu’on a espionné des gens pendant des années, qu’on a scruté les moindres recoins de leurs vies militantes et intimes, qu’on les a poursuivi·es, puni·es d’avance, diffamé·es, enfermé·es et qu’on a tenté ensuite de justifier cette débauche de moyens en bricolant une ordonnance de renvoi de 180 pages qui devait convaincre de leur culpabilité.
Direction la cour de cassation
Dès l’annonce de ce verdict, les trois personnes condamnées ont affirmé leur intention de se pourvoir en cassation. Il s’agit d’aller jusqu’au bout, d’achever ce dossier en bonne et due forme, de démontrer devant cette troisième juridiction les malfaçons de l’enquête et le ridicule des dernières charges qui pèsent encore sur elles.
De son côté, l’avocat général (l’État), n’ayant visiblement pas supporté le camouflet infligé par les magistrat·es a décidé de se pourvoir à son tour. Il conteste les relaxes de trois personnes, accusées de détention de produits incendiaires en bande organisée. L’une d’entre elles, condamnée en première instance à 12 mois de prison ferme, avait été entièrement relaxée en appel. Cette relaxe ouvrait la voie à une demande d’indemnisation de sa part suite aux mois injustement passés en détention (pour non respect de son contrôle judiciaire, en 2019).
Il y aura donc une nouvelle étape dans cette longue longue affaire. Et si la cour de cassation décidait de casser le jugement d’appel (de l’annuler), nous aurions droit à un troisième procès, pour six des sept inculpé·es. Une personne, jusqu’ici accusée d’avoir jeté une pierre en direction des forces de l’ordre le 15 août 2017, a en effet été définitivement relaxée suite à cet appel. Nous nous réjouissons de cette première victoire ! Les autres suivront. En juin 2021, sous les fenêtres du tribunal de Bar-le-Duc, nous étions des centaines à réclamer la relaxe générale à tue-tête ; cela prendra le temps qu’il faudra mais nul doute que nous l’obtiendrons !
2. Une nouvelle instruction liée à la manifestation du 21 août 2021
Jeudi 2 mars dernier, nous avons appris l’existence d’une nouvelle instruction. Bis repetita ! Les voilà qui recommencent ? Pour l’instant, il ne semble pas que cette enquête, dans son ampleur et dans les moyens qui lui sont alloués, soit comparable à celle qui a couru entre 2017 et 2020. Pour l’heure, une personne a été mise en examen suite à la perquisition de son domicile (en son absence) et à une garde-à-vue quelques jours plus tard (l’affaire est résumée dans cet article). Concrètement, il lui est reproché une dégradation en réunion sur la propriété de l’Andra au dépôt de Gondrecourt, lors de la manifestation du samedi 21 août 2021, en parallèle du camp des Rayonnantes. Pour étayer cette accusation, les enquêteurs se servent d’une ADN prélevée sur les lieux.
Levée de l’interdiction de territoire
Cette mise en examen avait été assortie d’un contrôle judiciaire présentant deux mesures principales : l’interdiction de paraître en Meuse et l’interdiction de sortir du territoire national, mesures que nous entendions contester immédiatement. Verdict : l’interdiction de venir en Meuse a sauté en appel ! La cour a reconnu que la mesure était disproportionnée, qu’elle attentait à sa liberté et a donc autorisé notre camarade, qui réside dans un autre département, à revenir quand bon lui semble (autorisation assortie d’une mesure étonnante qui lui interdit de se trouver « à proximité immédiate » d’un des 16 sites de l’Andra situés en Meuse et en Haute-Marne).
S’il est devenu presque coutume, pour nous, que les magistrat·es nancéien·nes désavouent les décisions du tribunal de Bar-le-Duc, cela n’avait jamais été le cas, jusqu’ici, pour cette juridiction. Jamais la cour d’appel de la chambre d’instruction n’avait daigné entendre nos protestations contre ces contrôles judiciaires à répétition qui constituent des peines et des privations de liberté, avant-même la tenue des procès.
Cependant, une fois encore le Parquet – c’est à dire l’État – s’obstine dans ses velléités répressives et a donc décidé, ici aussi, de se pourvoir en cassation. Et ce pour un simple contrôle judiciaire. C’est faire bien peu de cas de l’encombrement permanent des services de la Justice ! Pour cette affaire comme pour celle de l’association de malfaiteurs, la date des audiences en cassation n’est pas connue à ce jour mais les délais peuvent être particulièrement longs.
Autres convocations
Deux personnes ont par ailleurs été convoquées très récemment, dans le cadre de cette même instruction mais pour des faits dont on peine à comprendre en quoi ils sont reliés aux précédents. Concrètement, elles sont soupçonnées d’avoir peint quelques graffitis en opposition à Cigéo, la nuit du 31 décembre dernier, à 45 km de Bure. Les gendarmes les ont interrogées sommairement, sans jamais évoquer ni la manif d’août 2021 ni les faits reprochés à la personne mise en examen ni même leurs liens avec elle. Il est probable que l’on n’entende plus jamais parler de ce volet « arts plastiques » de l’enquête.
3. Transfert en France de la peine de prison de Loïc
Bien qu’il ne s’agisse pas à proprement parler d’un dossier lié à la lutte à Bure, profitons également de cette mise à jour pour donner des nouvelles de l’affaire allemande de notre ami Loïc, toujours en lutte contre le nucléaire et son monde.
Le 25 avril dernier, il avait rendez-vous à Nancy avec un juge des libertés et de la détention pour statuer du transfert de sa peine de prison de l’Allemagne vers la France. Il s’agit là d’une demande de sa part, effectuée il y a un an et demi et restée lettre morte depuis. Après le rejet de son appel et la confirmation de sa condamnation à trois années de prison ferme pour sa participation aux manifestations contre le G20 de Hambourg, Loïc avait en effet demandé à ne pas purger ce reliquat de peine en Allemagne mais ici, près de sa famille et de ses ami·es. Dans l’espoir surtout d’y obtenir un aménagement pour ne pas retourner derrière les barreaux.
Loïc a déjà passé 16 mois en détention, à Hambourg. Il a été libéré, d’abord sous condition jusqu’à la fin de son procès puis laissé libre au terme de celui-ci, en juillet 2020. Depuis près de 3 ans, il est donc libre et a repris, en France, ses activités militantes et professionnelles. Et puis, soudainement, cette peine se rappelle à lui et on voudrait qu’il retourne croupir en prison durant 440 jours supplémentaires ! Fort heureusement, il semble que le juge ait perçu l’absurdité de cette situation et la démesure de la peine dont Loïc a écopé en Allemagne. Sa décision sera connue en juin mais, selon notre ami et son avocat, la détention ne semble pas être une option sérieuse à ce stade. On s’achemine visiblement vers une liberté conditionnelle dont les termes restent à définir.
Le Parquet, dans son habituel excès de zèle, demande pour sa part un bracelet électronique (option d’aménagement de peine la plus contraignante) ainsi qu’une interdiction de manifester jusqu’à la fin de cette peine de prison. Une demande d’autant plus audacieuse de sa part, que la justice allemande n’a jamais prononcé une telle mesure à son encontre ! Par conséquent, Loïc se trouverait interdit de manifester en France dans le cadre de l’exécution d’une peine allemande tout en ayant techniquement le droit d’aller manifester en Allemagne ! Il semble par ailleurs que cette velléité d’interdire tout le monde de manifester découle d’une circulaire du ministère de l’intérieur à destination des magistrat·es, émise après Sainte Soline et les mobilisations contre la réforme des retraites. Son application ici en semble d’autant plus arbitraire !
Vidéo où Loïc explique son audience (facebook) :
https://www.facebook.com/100000118020876/videos/1267858943810953/
Verdict en juin, donc. Nous tâcherons de vous donner des nouvelles dès que possible, de cette affaire comme des autres.
4. L’affaire Poma au point mort
Les deux personnes mises en examen depuis plus d’un an dans l’affaire Poma (déboulonnage d’un pylône dans les Alpes) n’ont toujours pas été auditionnées par leur juge d’instruction de Grenoble. Elles ont obtenu la mainlevée de l’obligation de pointage bimensuel dans le cadre de leur contrôle judiciaire mais sont toujours interdites de contact et de se rendre à Bure. Soutien à elles·eux !
La solidarité est une arme !
Il n’y aura jamais d’enfouissement à Bure !
L’Antirep de Bure