Le procès entre les murs : Jour 3

*** RETOUR DEPUIS L’INTÉRIEUR DU 3e ET DERNIER JOUR DU PROCÈS ***

Avant de commencer la lecture : il nous semblait important de préciser que ces synthèses ne sont pas complètes, et peuvent contenir des imprécisions. Notamment car elles sont basées sur des notes prises au cours du procès, qu’il n’était pas toujours facile d’entendre et de transcrire chaque idée.

 

9h : L’audience commence, au son de la playlist boom et de la battucada, avec les réquisitions du procureur.

Il reproche à la défense d’adopter une posture idéologique : la défense a souhaité, de façon hélas prévisible, faire de l’audience une tribune politique plutôt qu’un procès juridique ; elle a fait le choix de déposséder votre juridiction d’un débat sur les faits.

Et de s’énerver : « je ne suis pas le bras armé de l’ANDRA », « je défends les libertés fondamentales. », « je ne suis pas l’instrument juridique de la répression d’un mouvement. »

Il revient sur l’accusation de partialité : « J’ai cru devoir à un moment m’asseoir sur le banc des prévenus. » ; alors qu’il insiste sur le fait d’être le procureur ayant requis un certain nombre de non-lieu (15 contre 16 renvois) malgré des éléments troublants listés dans le dossier.

« Personne ne connaît mes convictions de citoyen, ce que je pense lorsque j’enlève ma robe. »

On dirait bien qu’il est touché dans son pti coeur de procureur.

Il refuse de parler de maison de résistance, mettant en avant que le mot résistance est trop lourd de sens pour l’utiliser ici, et parlera de « QG infractionnel » puisqu’elle a servi de base de ralliement.

Ensuite, il reprend les définitions juridiques d’asso de malfaiteurs et de bande organisée, puis reprend les éléments à charge de l’ordonnance de renvoi qui prouveraient les infractions et justifierait la condamnation pour asso de malfaiteurs : compte-rendu opérationnels faisant figurer des projets de sabotage, différents lieux de stockage, déplacements de matériel pensés, équipements de protection, engins incendiaires, talkie-walkie « tout ça relève plus d’un profil de malfaiteur que de celui de militant politique ».

Il utilise la même rhétorique au sujet des « bouteilles incendiaires » : il ne s’agit pas de l’attirail habituel du militant politique, ces montages provoquent des boules de feu de 3m de diamètre, « c’est ça qu’on jette à la figure des militaires de la gendarmerie nationale, qui n’y sont pour rien dans le projet nucléaire ».

Les réquisitions sont les suivantes :
– Pour 3 prévenu.e.s accusé.es de complicité de détention d’engins incendiaires en bande organisée et d’association de malfaiteurs : 18 mois de prison avec sursis et interdiction de détenir une arme pendant 5 ans peine obligatoirement associée à la 1e).
– Pour 2 prévenu.e.s accusé.es de détention d’engin incendiaire en bande organisée : 12 mois de prison avec sursis et interdiction de détenir une arme pendant 5 ans (peine obligatoirement associée à la 1e).
– Pour 1 prévenu.e accusé.e de violence sur personne dépositaire autorité publique : 10 mois de prison avec sursis pour 1 prévenu.e.
– 1 prévenu accusé.e de détention d’engins incendiaires en bande organisée est jugé aussi pour ses antécédents judiciaires : le procureur demande 12 mois de prison ferme et interdiction de détenir une arme pendant 5 ans (peine obligatoirement associée à la 1e).

– La confiscation de l’ensemble des scellés.

En trois quarts d’heure, il a déjà terminé sa (faible) démonstration…

9h45 : l’audience est suspendue

10h25 : reprise de l’audience, la parole est maintenant à la défense

Première plaidoirie

Le premier avocat.e revient sur la partialité du procureur : non ce n’est pas un magistrat impartial puisqu’il n’est pas indépendant. Il choisit les personnes qu’il poursuit ou ne poursuit pas, sans avoir à s’en expliquer. Il n’est pas impartial et ce n’est pas moi qui le dit, c’est la cour européenne des droits de l’Homme.

Qu’on le veuille ou non, c’est le procès d’une lutte. Ce ne sont pas les prévenu.es qui ont choisi de faire de ce procès une tribune politique mais bien le procureur, puisque le réquisitoire introductif de l’instruction parle déjà d’association de malfaiteurs.

Ensuite, le procureur ne veut pas parler de maison de résistance ? Mais il n’est question que de ça dans le dossier !

Et il y a tellement de faits reprochés que le procureur en a oublié (attroupement, manif non déclarée…) !

Par contre, les faits qui se sont déroulés au cours de l’enquête sont graves : 5 réquisitoires supplétifs, 22 000 interceptions téléphoniques pour une prévenue pour seulement 150h exploitées, 3 lignes téléphoniques d’avocat.es interceptées mais qui n’apparaissent plus dans le dossier, des articles de journaux qui servent de point de départ à des enquêtes intrusives …= une instruction qui pourrait être qualifiée de fishing expedition (expédition de pêche) en anglais, on lance un filet et on voit si on attrape quelque chose. C’est d’ailleurs une pratique interdite en Angleterre et pour laquelle les magistrats peuvent être sanctionnés. Mais là, « si le juge d’instruction était un pêcheur, il mourrait de faim… »

Récupérer des infos à droite à gauche n’est pas digne d’une justice bien ordonnée mais plutôt d’un acte de barbouzerie qu’il n’a vu que dans des dossiers concernant l’opposition au nucléaire.

Il cite l’exemple de l’ordinateur de Y. Jadot, militant antinucléaire, qui avait été retrouvé dans le coffre fort du responsable de la sûreté d’EDF en 2005. Aujourd’hui il n’y a plus besoin de sociétés privées pour faire ça puisque le procureur et le juge d’instruction s’en chargent.

Il poursuit son intervention en plaidant l’irrecevabilité des parties civiles, même si le procureur n’y a même pas fait allusion.

1. cela concernerait 3 personnes qui ne sont pas renvoyées devant le tribunal

2. le préjudice serait lié à la dégradation du Bindeuil, faits dont il n’est pas question ici

3. la décision de se constituer partie civile relève ici d’une autorité incompétente juridiquement : il n’y a pas eu de délibération municipale déléguant au maire le pouvoir de se constituer PC

4. l’image de Bure est davantage abîmée par le fait d’avoir accepté des infrastructures neuves financées par le GIP, pour finalement rendre récemment une délibération d’opposition à CIGEO. « on ne peut pas accepter la main qui nous nourrit et la mordre »

Enfin, à qui profite le crime ? À l’ANDRA bien sûr, puisqu’elle a eu la copie de toutes les pièces, accès à tous les secrets ou infos persos… elle peut en nourrir sa réflexion, ses plans de déstabilisation de l’opposition, à la veille d’un débat « démocratique ».

L’avocat revient sur l’histoire du nucléaire en fRance et du choix de s’implanter à Bure : « la culture du nucléaire n’est pas une culture démocratique ». C’est parce que des gens se sont insurgés qu’il y a eu des lois et des amendements.

Cette contestation est utile à la société. « La démocratie doit permettre l’expression d’opinions dissidentes minoritaires »

« Allez vous être, comme l’a dit Vanessa Codaccioni, un juge dépossédé ou bien un juge garant des libertés ? »

Pendant tout ce temps, le procureur se masse les tempes et regarde son téléphone.

 

Deuxième plaidoirie

 

C’est au tour du 2e avocat, qui a lui-même été perquisitionné et auditionné dans le cadre de l’instruction, et a finalement bénéficié d’un non-lieu.

Il ne s’attendait pas à se présenter en robe mais sur le banc des accusés. « Ça fait 3 ans que je me prépare à être ici avec mes ami.es. » Pour lui ce non lieu pris par Kévin Le fur, contrairement à la demande du procureur, est un mystère.

D’ailleurs dans l’ordonnance de renvoi, la situation et les gestes qui sont qualifiés d’insuffisants pour conclure à une organisation concertée, sont utilisés pour reprocher des intentions à certain.es des prévenu.es. Pourquoi ?

Il n’y a aucun élément nouveau depuis 2017, rien ne justifie ce revirement de dernière minute.

Un travail de 4 ans se trouve résumé dans une ordonnance de quelques pages, remplie de contradictions majeures.

« Donc c’est parce que je suis avocat que je ne suis pas jugé. C’est plus facile de juger des « militants proches de la mouvance anrcho-autonome, » on appelle ça une justice de classe. Ce n’est pas parce que je suis avocat que mon intention est différente. »

Le procureur fait souvent non de la tête et des gestes désabusés en direction de son assistante.

Il est donc là comme avocat parce qu’on lui a demandé de le faire, mais il remercie aussi la LT d’avoir aidé au travail sur le dossier.

La manifestation du 15 août n’était pas interdite, c’est donc que le préfet lui-même n’a pas pensé qu’il pouvait y avoir un « trouble à l’ordre public ». Elle est partie de la salle des fêtes (pas de la maison de Résistance) et il était prévu qu’elle aille vers Saudron, précisément pour ne pas aller vers les installations de l’ANDRA. Ce sont les flics qui ont bloqué la route et détourné le cortège vers le labo.

Ensuite, l’avocat rappelle à son tour le contexte militarisation du territoire, une soixantaine de procès contre les opposant.es, la condamnation de l’ANDRA et les infractions commises par elle (un projet commencé sans autorisation par exemple et sous la protection de la gendarmerie). « L’état nucléaire se sent au dessus des lois dans un mépris total de l’état de droit »

Il liste tous les recours juridiques effectués contre CIGEO ainsi que les manifs, infotour, concerts, etc., toute la richesse et la variété des actions, personnes et parcours.

S’il avait fallu attendre les décisions de justice et surtout que l’ANDRA les respecte, ça aurait été trop tard. L’opposition a permis de sauver le bois Lejuc en disant : si vous voulez couper cet arbre, il faudra nous passer dessus.

La version qui dit que la mouvance anti-CIGEO se serait radicalisée de façon inquiétante est un mensonge par omission comme on a pu le voir hier. C’est totalement méconnaître l’histoire de cette lutte. Et de rappeler que le 13 décembre 1989 ont eu lieu des affrontements à côté des forages et qu’une cinquantaine d’opposant.es avec des haches ont mis à sac les locaux de l’ANDRA. Dans les jours suivants, des véhicules de flics avaient été incendiés.

L’ANDRA essaye d’imposer son projet depuis 40 ans. Elle pensait avoir obtenu l’acceptabilité, eh bien non, c’est toujours non et ça restera toujours non. Ce projet est beaucoup trop dangereux.

C’est l’état nucléaire qui cherche à instrumentaliser votre juridiction pour homologuer son projet.

« On va continuer, que vous nous condamniez, que vous nous enfermiez, ça ne changera rien ».

Il va falloir choisir, car mes intentions sont rigoureusement identiques à celles des autres : lutter contre CIGEO. Soit nous sommes toutes des malfaiteurs, soit mes camarades ne le sont pas.

L’audience est suspendue pour le repas.

Un 3e avocat était censé poursuivre sur la contextualisation ce matin mais au vu de l’heure, le juge préfère suspendre pour avoir la meilleure attention possible à ce que dit la défense… bref, tout le monde a faim !

Troisième plaidoirie

L’avocat rappelle qu’il aurait préféré conclure la matinée, car son intervention complête et conclue l’abstraction contextualisante des deux premières plaidoiries, avant les interventions plus techniques et juridiques qui suivront.
Il rappelle l’ampleur de la surveillance dans le cadre de l’enquête d’instruction.
450 objets ont été saisis au cours des diverses perquisitions, dont des objets « aussi utiles à la manifestation de la vérité que la photocopieuse de l’association Bure Zone Libre ». Il demande donc la restitution de l’ensemble des scellés, sauf peut-être les artifices.
Il remarque qu’on reproche aux prévenues l’utilisation de moyens de chiffrement dont Signal, que 40 millions de personnes utilisent.
Il dit avoir découvert avec surprise l’écusson de la cellule Bure lors d’une garde-à-vue, écusson qui représente en son centre un fût de déchets nucléaires. La question se pose alors de la misssion de la cellule de gendarmerie, le nucléaire est-il ce qu’il lui faut défendre ?
Dès 2016, c’est-à-dire l’année précédant le début de l’enquête, des enquêteurs avaient pour unique tâche de surveiller les opposantes au projet Cigéo.
L’avocat revient sur l’utilisation d’un IMSI-catcher par le juge d’instruction, pour relever les lignes téléphoniques actives aux abords du tribunal lors d’une audience que lui-même présidait, ce dont il a déjà été question la veille lors de l’audition du juge d’instruction en tant que témoin.
L’enquête a cherché à catégoriser et enfermer les personnes surveillées dans des logiques de verticalité et d’organisation structurée.

L’avocat rappelle à l’attention du procureur qu’on dit Maison de Résistance (à la poubelle nucléaire), et non pas Maison de la Résistance, et que donc il ne sert à rien de s’indigner de ce que le mot « Résistance » est lourd de sens dans l’histoire, etc.
Il souligne le fait que le procureur n’a cité aucune côte du dossier, c’est-à-dire aucune pièce, et s’est donc contenter de construire ses réquisitions à partir de l’ordonnance de renvoi.
Il critique l’ampleur des dépenses liées à l’enquête (et détaillées dans un article de médiapart), environ 1 million d’euros dépensés pour une enquête liée à un départ de feu, un grillage abîmé et une manifestation non déclarée. Le juge d’instruction a déclaré la veille avoir eu « crédits illimités » pour l’enquête.

Le procès était vide, heureusement que les témoins de la défense ont parlé pour le remplir, heureusement que les avocates sont allées manifester le premier jour. Même le ministère publique n’a presque pas parlé du procès.

Le dossier est tellement vide que pour renvoyer des prévenues devant le tribunal il faut « inventer des monstres juridiques » tels que la « complicité en vue de participer à une infraction obstacle d’éléments entrant dans la composition d’explosifs commis en bande organisée »

Quatrième plaidoirie

L’avocate commence en précisant que, si elle n’a pas de formation technique sur le nucléaire, il lui semble pourtant que la seule détention d’explosif à craindre est la concentration de matière radioactive que prépare l’Andra.

A propos d’une prévenue, C., dont l’implication est surtout liée au bois Lejuc, elle remarque que le dossier est vide d’éléments concernant le bois et la perquisition qui y a été menée.
Il n’y a pas de photo du véhicule dans lequel on lui reproche d’avoir chargé des artifices, du coffre, du contenu du véhicule, ou même de la boîte en plastique dans laquelle auraient été retouvés les artifices.
Il est surprenant que, compte tenu des moyens conséquents liés à cette enquête et à cette perquisition de bois, rien n’ait été pensé pour décrire cette perquisition ou pour appuyer cette description.
Pour aider à la description de la scène, l’avocate cite un témoignage d’une personne qui était sur place et qui raconte comment le chargement des diverses affaires s’est fait avec l’accord des gendarmes présents, qui ont même aidé au chargement.

Sur le choix des mots, l’avocate explique que pour désigner les objets dont on reproche la détention, on peut parler d’ « artifices », d’ « explosifs » ou de « mortiers ». Le choix dépend de l’image qu’on veut donner. C’est pour cela que le terme de « mortier » est largement utilisé dans les médias, parce-que « ça rappelle la guerre, ça fait peur »

En résumé, ce que montre l’enquête c’est que « les artifices, c’est pas bien, c’est dangereux », mais au moment des faits la détention d’artifice ne tombait pas sous le coup de la loi. (cela change avec la loi sécurité globale qui vient d’être adoptée)
Elle demande donc la relaxe de C.

A propos d’une prévenue, B., dont l’ADN a été retrouvé sur un pétard attaché à une bouteille.
Encore une fois, l’enquête s’est attardée longuement sur le danger représenté par l’objet, allant jusqu’à le reconstituer pour le tester et observer sa dangerosité, la taille de la boule de feu par exemple.
Ce que résume l’avocate en disant que grâce à l’enquête on sait que « c’est très très dangereux » et que « le feu, ça brûle ». Mais l’enquête aurait été plus pertinent si elle s’était attachée à savoir si, vraiment, on pouvait relier l’objet à la prévenue.
Elle décide donc de faire une petite demonstration devant la Cour en prenant une bouteille d’eau à laquelle elle attache un bouchon de stylo (le pétard) grâce au chouchou de sa collègue (le serflex). Elle rappelle que parmi la dizaine de traces d’ADN présente sur l’ensemble et notamment sur la bouteille, une seule, sur la mèche du pétard, a été liée à B. Or, comme elle le montre en manipulant sa reconstitution improvisée, soit la personne qui a créé l’objet l’a fait sans gants, et on devrait retrouver son ADN partout, soit elle l’a fait avec des gants, et on devrait ne le retrouver nulle part.

Les éléments de l’enquête ne permettent donc que de conclure qu’éventuellement B. a touché un pétard. Ce qui revient à lui reprocher de la détention d’artifices, ce qui, comme on l’a vu pour C., ne tombait pas sous le coup de la loi au moment des faits.
Elle demande donc la relaxe.

A propos d’un prévenu, K., l’avocate dit qu’on en a fait « le grand méchant » du dossier, en insistant largement sur son casier judiciaire.
Pourtant, c’est presque la seule personne qui a parlé lors de sa garde-à-vue. Il a par exemple dit qu’en août 2017, il se trouvait en Ariège. Et il n’était pas à la maison de Resistance lors de la perquisition de septembre 2017.
Donc pour une fois dans cette enquête que la justice a face à elle quelqu’un qui parle, elle ne cherche même pas à mene l’enquête à décharge pour établir que K. n’était effectivement pas là lors de la manif du 15 août, alors que l’enquête relie, par le biais de la bande organisée, la détention d’explosifs qui lui est reprochée à cette manifestation.

Lors de la perquisition de septembre 2017, les gendarmes auraient retrouvé l’ADN de K. sur un bocal, parmi plusieurs, dans un sac avec des papiers reliés à son identité.
« Nous voilà bien avancées, on a une trace ADN sur un bocal de poudre blanche. La poudre blanche, ça fait peur. » Or, après examen du dossier, il se trouve que la poudre blanche, c’est du bicarbonate de soude.
L’avocate dit que, bien que la pause de midi ait été très courte, elle a eu le temps d’aller à l’épicerie en-dessous du tribunal et d’acheter du bicarbonate, qu’elle sort devant la Cour.
Elle cite une étude qui montre que l’ADN reste parfois des semaines ou des mois sur un objet. Elle tend alors son pot de bicarbonate de soude vers ses collègues et leur demande de toucher avec les mains, ce qu’iels font, puis fait semblant de fracasser le crâne de sa collègue la plus proche avec le pot. Si on enquêtait sur ce « meurtre », on trouverait alors surtout l’ADN des autres avocat.es sur le bocal.

A propos de la présence de papiers liés à l’identité de K. dans le sac, l’avocate cite le témoin de la perquisition de la maison de Résistance, selon lequel la perquisition s’est déroulée dans le chaos, avec des flics dans plusieurs pièces et un seul témoin. Il n’était pas présent lorsque les flics ont trouvé le sac, ils l’ont appelé depuis la pièce d’à côté et quand il est arrivé le sac était déjà ouvert et son contenu sorti.
Sur la prsence des papiers dans le sac, elle remarque aussi que « le gendarme a trouvé un papier. On prend une photo à la gendarmerie, y’a deux papiers. On met sous scéllés, y’a trois papiers. »

Et donc elle demande la relaxe pour K. dont on peut simplement montrer qu’il a « touché un pot de bicarbonate ».

A propos de la charge de « détention » reprochée aux trois prévenues, elle rappelle que la détention doit être « en vue de » quelque chose pour être répréhensible.
Or dans l’ordonnance de renvoi (ORTC), il manque la référence à l’intention.
L’intention présumée est en effet liée à des faits (la manif du 15 août 2017, celle de février 2017) antérieurs au moment où la détention est constatée (perquisition de septembre 2017 à la maison de Resistance et de février 2018 au bois Lejuc).

Cinquième plaidoirie

 

Tout d’abord, l’avocat se demande ce que le Tribunal a fait pour se retrouver dans une situation aussi compliquée : durant ces trois jours de procès, la partie civile était hors sujet, le directeur de l’Andra était absent, le juge d’instruction ne répondait pas au questions, rendant tout débat contradictoire impossible ; le ministère public était lui aussi absent, par son silence, et incapable de soutenir une accusation dans les 40 premières heures du procès. Le parquet n’a pas non plus aidé Monsieur le Juge lors de ses réquisitions : car aucune côte n’a été donnée à l’appui des réquisitions. Comment alors les mis en examen pourraient-ils comprendre ce qu’on leur reproche ?

Et quelle image de la justice tout cela donne ?

L’instruction pour association de malfaiteurs s’est terminée de manière précipitée. Il fallait qu’il y ait rapidement une audience. Mais pourquoi ? Pourquoi aller vite après quatre années d’investigations ? Pourquoi êtes vous là pour examiner un dossier comme s’il fallait vite le mettre à la poubelle ?

« Vous rendrez votre jugement, pourtant tout cela continuera. »

L’avocat explique alors être surpris des débats : nous avons un dossier de 22000 pages, pourtant, cela finit comme ça, dans une audience orageuse, avec des non dits et le silence du ministère public et de témoins (le juge d’instruction K. Le Fur). Nous avons remis hier une cinquantaine de pièces qui n’intéressent visiblement pas le ministère public. Je vous le demande alors encore : quelle image de la justice donnons-nous là ?

L’avocat aborde alors une infraction qui est reprochée à certains des prévenu.e.s : la bande organisée. Il revient d’abord sur l’histoire de ce concept.

Cela remonte à Al Capone : le concept de bande organisée est apparu pour répondre aux réseaux de traffic mafieux. Aujourd’hui, cette même notion est appliquée à la fois aux mafieux et aux antinucléaires.

Ce concept de bande organisée a été repris par les anglo-saxons, concrétisé en Italie pour les personnes mafieuses, mais il a été écarté par les pays scandinaves. En Italie, pour caractériser la bande organisée, il fallait au moins 30 personnes et pas de complice.

C’est un cadre sous lequel on peut opérer une surveillance et des saisies.

Et ce qu’on remarque, c’est qu’on a étendu cette notion à d’autres infractions: à l’origine, la bande organisée ne concernait pas la détention d’explosif ni l’intention « en vue de ».

L’avocat explique alors que le ministère public a oublié qu’une circulaire dit que la bande organisée doit avoir une direction. La bande organisée doit aussi avoir une hiérarchie et être structurée.

Or, on remarque que dans le dossier d’instruction, même si les gendarmes savent qu’il faut qu’il y ait une hiérarchie et une structure (un PV le montre), ils font comme semblant de penser qu’une simple structure suffit à caractériser la bande organisée à Bure.

Par exemple, dans l’ordonnance de renvoi, on note cette phrase « l’affluence des personnes est réelle sur l’organisation des locaux. » Est-ce cela une bande organisée ? C’est être président d’une association ? Recevoir des virements ? Décider ce qu’on mange ? Il est dit dans cette ordonnance qu’ils auraient autorisés la présence de produits explosifs parce qu’ils ne pouvaient pas l’ignorer : or ce « ils ne pouvaient pas l’ignorer » n’existe pas en terme juridique.

Il suffit de faire des références à des côtes pour savoir que 1° il n’y a pas de hiérarchie 2° l’ordonnance modifie les documents saisis.

En effet, et par exemple : il se trouve dans le dossier un document, côte D4490, qui s’intitule « Directive en cas d’arrestation ». On parle ici de directive, pourtant il ne s’agit que d’un mémo, que les enquêteurs appellent directive.

Autre exemple : la côte D2992. Un compte-rendu post manifestion 2017, dans lequel il est dit que le rôle de chacun n’est ni identifié ni organisé. C’est donc cela, une bande organisée ?

Autre exemple : la côte D10961 fait référence à un fichier pdf exploité, sur lequel se trouve une liste de sous traitants de l’Andra. Ce document se trouvait sur un ordinateur, parmi d’autres documents sur des thématiques très diverses. La conclusion des enquêteurs est toutefois la suivante : cette liste de sous-traitants montre une stratégie des opposants quant aux sous-traitants de l’andra. Mais de quelle stratégie s’agit-il ? Comment passe t-on d’une énumération à une stratégie ?

L’avocat explique alors qu’il est simplement en train de reprendre des éléments avec rigueur pour montrer qu’il n’y a jamais eu de hiérarchie, de stratégie.

Au-delà de la bande organisée, il y a aussi la complicité. Il est dit, dans l’ordonnance, qu’elle est prouvée. Mais on ne comprend pas comment. Dans le code pénal, la complicité a différentes formes. Or à quel moment l’ordonnance précise de quelle forme de complicité il s’agit ? Nulle part : nous nous retrouvons une fois de plus dans un flou.

On parle de bande organisée et de complicité pour faire beau, mais au fond, on n’en parle jamais.

Et enfin, il n’est jamais dit ce qui est prévu : il n’y avait d’ailleurs rien de prévu après les perquisitions.

La relaxe est donc la seule des choses possible et acceptable pour ces qualifications.

Sixième plaidoirie

Une autre avocate se lève pour parler de l’infraction d’organisation de manifestation non déclarée et d’attroupement après sommation.

Le 15 août 2017, c’est l’anniversaire de la chute du mur illégalement construit par l’Andra. Et cela, alors que l’instruction est déjà ouverte depuis le 26 juillet.
En effet, depuis les faits qui concernent l’hôtel-restaurant du Bindeuil, on a déjà un dossier et des écoutes téléphoniques. Donc, le 15 août, on a une enquête qui démarre avec une instruction deja en cours pour association de malfaiteurs. On a donc à la fois des choses issues de l’enquête préliminaire et des choses transmises par l’instruction.

À l’été 2017, le Bois Lejuc est occupé depuis la reconnaissance par le tribunal un an plus tot de l’illegalité de la construction d’un mur par l’Andra dans la foret. du 11 au 13 août se déroulent les Bure’lesques. Le 15 août est prévu tantôt « une mobilisation », tantôt « une manifestation ».

Manifester est un droit, c’est à dire que pour manifester, nous n’avons pas besoin d’avoir une autorisation. Seulement la manifestation peut être déclarée et elle est déclarée lorsqu’elle fait l’objet d’un récipissé. Cela, nous n’en avons vu trace dans le dossier.

Or dans un PV, il est écrit que nous avons la preuve que la manifestation n’est pas déclarée car le 8 août, le préfet annonce qu’elle n’est pas encore déclarée : sauf qu’une manifestation peut être déclarée jusqu’à 3 jours avant la date où elle doit avoir lieu.

Une jurisprudence indique que la préfecture est en droit d’interdire une manifestation quand elle en a connaissance. Or nous savons que la préfecture a eu connaissance de cette manifestation car elle a fait un arrêté d’interdiction de transport en raison de cette manifestation. Mais si elle a pris cette arrêté, elle n’a pourtant pas choisit d’interdire la manifestation. Elle n’a fait qu’interdire le transport. Elle aurait pu l’interdire, mais elle a choisi de ne pas le faire.

Et pourtant : le 15/8, nous avons des contrôles renforcés, nous avons des interdictions d’accéder une route en sortie de Bure vers Saudron. Néanmoins, jamais les gendarmes ne recoivent pour ordre de bloquer cet accès : c’est à dire que la décision est prise par l’autorité militaire de son propre chef, sans que cela ne lui soit jamais commandée par l’autorité civile.

A la suite de ce blocage, il y a eu des sommations : mais pour quelle raison ? Pour attroupement ? Mais peut-on parler d’attroupement lorsqu’il s’agit simplement de manifestation non déclarée ?
De plus, il est à noter que le gendarme qui a fait ces sommations n’avait ni écharpe tricolore, ni brassard : ces sommations étaient dès lors irrégulières, en dehors des clous. Enfin, nous avons des photos des sommations, toutefois on ne sait pas à quelle heure ni où elles ont été faites.

L’avocate demande alors la relaxe pour le délit d’attroupement.

« Il n’y a eu aucune tentative d’analyse… »
Elle s’attache alors à démontrer qu’à aucun moment, il n’y a eu tentative d’analyse de ce qui a pu conduire à un échec du maintien de l’ordre et de la manifestation : car il y a eu de nombreux.ses blessé.e.s du côté des manifestant.es, notamment ds aux grenades envoyées par les gendarmes. Les enquêteurs ont produit une vidéo assez précise prise d’un hélicoptère qui survole Bure et sur laquelle on voit des manifestant.e.s qui se réunissent devant la salle des fêtes, puis qui déambulent ensuite de manière désorganisée, en changeant de direction. Au début, nous avons une manifestation où rien ne vole, puis les gendarmes cherchent quelqu’un pour faire des sommations, et ensuite utilisent les armes dans une surpuissance, bien supérieure et disproportionnée face aux individu.e.s qu’ils ont en face d’eux.

La seule analyse que l’on trouve de cette manifestation est la suivante : tout cela était organisé dès le départ, et la seule raison que cela se soit passé comme ça, c’est que tout cela était prévu, c’est que les militant.e.s l’avaient organisée. Cela est-il toutefois prouvé quelque part ? Absolument pas.

À l’école de la gendarmerie nationale, il est dit aux gendarmes que face aux black blocs, les forces de l’ordre doivent s’adapter et qu’il doit y avoir proportionalité. Il doit y avoir une attention portée à l’équipement utilisé pour ne pas donner une impression guerrière contradictoire au but poursuivi : c’est à dire au maintien de l’ordre.
Or est-ce ce qu’il s’est passé ? Nous n’avons toujours aucune analyse de cela.

Côte D1657, nous trouvons un article paru le lendemain du 15 août, dans le journal Libération. Il s’agit d’une interview de Jean Marc Fleury qui explique que cette manifestation visait à se rendre sur le site néolithique de Saudron pour dénoncer le passage en force de l’ANDRA et montrer symboliquement où se trouve ce site. Or le cortège a été bloqué dès le départ. Jean-Marc explique alors avoir quitté le rassemblement dans le désordre.

On a réalisé une grande enquête, et on en a tiré des choses
L’avocate remarque enfin que contrairement à ce qu’on a coutume de faire lorsqu’on est mis face à ce genre d’infractions, personne ne s’est d’abord posé la question de qui a appelé à manifester. Or quand on cherche cela, on se rend compte que plein de collectifs, d’associations, ont appelé à manifester. Pourtant, jamais on se l’est demandé. Jamais on ne s’est non plus interrogé sur les raisons de ce rassemblement. On a réalisé une grande enquête et on en a tiré des conclusions.

En effet, tout le monde, sauf le dossier d’instruction parlait de l’intention de visibiliser l’existence du site néolithique, l’action prévue de former une spirale de pierre au-dessus.

La cour de cassation dit qu’il est possible de savoir qui a organisé une manifestation « par un faisceaux d’indices » : cela n’est donc pas évident, et surtout dans une organisation aussi peu hiérarchisée: comment savoir qui a fait quoi, et à quel degré évaluer l’implication dans une organisation ?

Pour les enquêteurs, ce faisceau d’indices est que 1. X (l’un des prévenu.e.s) se trouve dans la manifestation, parmi près de 400 personnes ; 2. un compte-rendu de réunions préparatoires a été retrouvé dans divers ordinateurs, appartenant à diverses personnes, dont X ; 3.  dans un autre compte-rendu on trouve le prénoms de gens dont celui de X, qui est mis face à des tâches liées à la communication et aux finances – or cette partie figure dans un annexe qui n’a rien à voir avec la manifestation.

Mobilisation et manifestation ne sont pas deux choses similaires
On apprend alors que le 15 août n’est pas seulement une manifestation mais aussi une mobilisation. Une assemblée générale est prévue, ainsi qu’une conférence de presse, un repas le midi, et à côté de cela, également une manifestation. Il peut donc y avoir, parmi ces gens dont le prénom figure dans le compte-rendu, des personnes qui ont participé à l’organisation de cette journée sans nécessairement avoir participé à organiser la manifestation.

Le procureur, ce matin dans ses réquisitions, a donc commis une erreur en utilisant le terme de « réunion » pour parler de la manifestation : mobilisation et manifestation ne sont pas une même chose.

Concernant le prévenu X, une personne parle de lui comme étant l’un des organisateurs de cette journée du 15 août, seulement, dans une lettre postérieur il parle de mobilisation et pas de manifestation.

Concernant le prévenu Y : le seul élément utilisé par les enquêteurs qui selon eux prouve qu’il fait partie des organisateurs, est une photo où il se trouve avec la prévenue Z à la manifestation. Or on ne sait pas ce qu’il se passe à ce moment là, ce qu’il y fait. Quels éléments alors démontrent cela ?

Quant à la prévenue Z, les éléments qui, pour les enquêteurs, prouvent qu’elle fait partie des organisateur.ices sont que :
– elle se trouve à côté du prévenu Y sur la photo dont on vient de parler
– un compte-rendu de la journée sur lequel on trouve son nom, mais qui a pourtant jamais été retrouvé dans ses affaires
– un mail du 14/7 qui parle d’une mobilisation le 15 août en ces termes : « on peut se réunir ensemble pour discuter du 15/8  »
– des écoutes téléphoniques du dossier d’instruction suite auxquelles les enquêteurs disent que la prévenue Z utilisait le numéro de la legal. Or, il est aussi démontré que la prévenue n’est pas propriétaire de la ligne. Pourtant, on déduit de cela qu’elle a organisé la manif et même qu’elle la dirige : ce raccourci est vraiment dangereux.
En effet, ces écoutes téléphoniques montrent que la prévenue donne des informations sur ce qu’il se passe mais les échanges montrent aussi bien qu’elle ne sait pas où va la manifestation: elle le dit elle-même, et pose même des questions.

L’avocate confie alors au juge que cela est fastidieux de reprendre chacun de ces éléments à charge du dossier pour se demander s’ils pèsent.

« C’est aussi incroyable que cette théorie du baby block. Quand on est à ce point de mauvaise foi, si vide d’éléments concrets, la seule défense possible face à ça reste le droit au silence. »

(…) Vous allez devoir faire ce que j’ai fait, relire fastidieusement toutes ces pages pour comprendre qu’ils n’ont pas organisés mais pris part à quelque chose, mais on ne sait pas exactement quoi ni à quel degré ils y ont pris part ».

Enfin, l’avocate rappelle toutes les contraintes auxquelles les militant.e.s à Bure sont voué.e.s à se heurter s’iels décident de s’organiser (contrôles incessants, attestation de déplacement…) et finit sa plaidoirie en demandant la relaxe.

 

Septième plaidoirie

 

« Ce n’est pas parce-qu’il s’agit d’un procès politique qu’on doit se dispenser de faire du juridique »
L’avocate annonce alors faire la démonstration juridique que l’infraction de violence volontaire à Bure et Saudron n’a pas lieu d’exister.

L’infraction de violence se caractérise par trois éléments :
1. L’existence d’un acte de violence
2. Un domage vécu personnellement
3. Un lien causal entre le préjudice et le domage (1 et 2)

Pendant que l’avocate parle, le public remarque que le procureur a les yeux fermés, la tête posée sur sa main droite.

1. Quel acte a fait la prévenue W ? Ce que dit l’enquête, c’est que son téléphone bornait à Bure au moment des violences, et que cela démontre alors sa présence. En effet, les enquêteurs ont requis de l’antenne relais un ensemble de données téléphoniques dont ils ont fait un tableau récapitulatif pour identifier les utilisateurs. Toutefois, ces données n’indiquent ni l’heure ni le lieu : on sait que la prévenue a borné sur cinq antennes relais, soit donc dans une zone pouvant aller, au vu de la couverture de ces antennes d’une centaine de mètres à une trentaine de km (en milieu rural), et qu’elle a borné entre 15h et 19h. C’est très vague, mais aussi, il est dit dans le dossier que les affrontements auraient eu lieu à 14h20. Soit bien avant que l’on réceptionne toutes ces données téléphoniques.

Ce que dit aussi l’enquête, c’est qu’il existe une photo où la prévenue serait identifiée en train de jeter des pierres. Selon les enquêteurs, il est possible de l’identifier en raison de son apparence, et de sa corpulence. Or quand on y regarde de plus près, on remarque qu’il s’agit en fait de deux photos : une où se trouve quelqu’une en train de marcher, et que l’avocate avoue ne pas reconnaitre, et une autre où l’ont voit un champ dans lequel se tiennent plusieurs individu.e.s qu’il n’est pas possible d’identifier. Rien ne permet alors de dire que la prévenue est en train de commettre des violences.

2. A t-on un seul procès verbal d’un gendarme qui se plaint d’un jet de projectiles ? Aucune. Personne ne fait part d’un préjudice personnel ou psychique, mis à part deux gendarmes qui disent avoir des accouphènes mais sans que les auteur.es soient identifiés. Pourtant, ce matin, le procureur dit dans ses réquisitions que de nombreux membres des forces de l’ordre ont été blessés.

L’avocate termine sa plaidoirie en constatant la démesure des moyens, du dispositif déployé, du nombre d’armes, et se demande alors qui a été à l’origine de ce qu’il s’est passé.

« Si on n’est pas capable de démontrer que ces malfaiteurs font violence, alors que reste t-il ? »

À propos du témoignage du commandant de gendarmerie en charge de l’opération : « N’est-il pas cynique de ne pas considérer l’intégrité physique des manifestants et dire que l’objectif des gendarmes était la seule protection des infrastructures de l’Andra et non des personnes, alors qu’il est dit dans le procès verbal des gendarmes que la manifestation accueillait des enfants ? »

Huitième et dernière plaidoirie

L’avocat commence par parler du film  » Le procès de Chicago ». Cela se passe au mois d’août 1962 à Chicago, dans un contexte de la guerre du Vietnam. Beaucoup d’hommes avaient alors peur d’y aller et d’y perdre la vie. Il y a alors eu des manifestations durant lesquelles des violences ont été commises des deux côtés. On a donc cherché à trouver les organisateurs de ces manifestations, et des personnes ont été arrêtés, accusées en procès pour « délit de complot » : on leur a imputé ces débordements.

Au procès de Chicago, à chaque audience, le ministère public bataille, il cherche à démontrer ce qu’il croit juste. Or ici, nous n’avons pas entendu le procureur évoquer plusieurs éléments qui semblent essentiels. Le procureur a accusé les prévenu.e.s de déposséder le tribunal d’un débat contradictoire alors que la défense le recherche depuis le début : on a fait venir des témoins, auquel le procureur n’a pas posé de questions ; on a posé des nulités, on est allé manifester : « si on n’avait pas fait tout ça, l’audience aurait été pliée en une journée. »

L’avocat demande à son tour si c’est bien cela, la justice, et déplore l’image que l’on en donne depuis ces trois jours.

Il explique alors que la défense n’était initialement pas certaine de citer comme témoin Kévin Lefur, le juge d’instruction de la présente affaire. Elle avait peur de le voir défendre avec solidité et conviction ses choix ; néanmoins, elle a décidé de prendre ce risque pour pouvoir discuter du dossier, côte par côte.
« Quelle déception avons-nous alors ressenti face à son silence ! Personne n’y a rien compris. Car peut-être aurait-il été utile de savoir pourquoi ce magistrat envoyait des personnes au tribunal. Nous avons été privé de ce débat contradictoire. »

Le dispositif d’association de malfaiteurs.
L’association de malfaiteurs est un dispositif qui a été crée dans le contexte des Lois scélérates en 1893. Elle permet de punir une association formée en toute entente, en vue de commettre un crime ou des dégradations privées. La punition était alors des travaux forcés.

A la fin du 19è siècle, des débats prennent forme autour de cette notion d’association de malfaiteur. Un des premiers dreyfusards, qui a défendu Dreyfus quand il était au bagne, a aussi défendu les anarchistes envoyés au bagne alors qu’il ne partageait pas leurs convictions. « Les lois scélérates mettent en péril les libertés élémentaires de tous les citoyens » disait-il.

Le public note que le procureur a la tête ailleurs, il fait tout autre chose et une fois de plus ne semble pas porter de réelle attention à ce que dit la défense.

L’avocat se tourne alors vers lui et lui dit qu’il doit montrer qu’en tant que ministère public, il a la certitude de ce qu’il y avait dans la tête de tel ou tel prévenu. Or jusqu’alors, aucune preuve n’a été apportée. Pour lui, l’association de malfaiteurs est un dispositif qui vise à empêcher de faire quelque chose à l’avenir : comme le disait Vanessa Codeccioni hier, il s’agit d’un dispositif de répression préventive.

Car ce qui est reproché aux « malfaiteurs », c’est leur intention de. S’ils ont transporté du matériel la veille d’une manifestation, pour les enquêteurs, « c’est parce-qu’ils voulaient préparer quelque chose lors de cette manifestation ». Toutefois, jamais le ministère public ne s’interroge sur la nature de ce matériel, ni sur la démonstration de cette intention, ni sur la forme que cette intention pourrait avoir. Il parle d’association, il dit qu’ils ne pouvaient ignorer la présence de tel matériel trouvé ailleurs, mais sans jamais le justifier.

« Ils ne pouvaient ignorer » : ceci est le contraire du droit.
Le mnistère public doit démontrer la culpabilité, il doit démontrer qu’il sait ce qu’il se passe dans la tête des gens qu’il accuse, qu’il y a une intention préalable : or ici, on nous demande de démontrer l’inexistence d’une preuve négative.

Le ministère public explique qu’il y avait une intention préalable à commettre des violences le 15 août, parce-ce qu’il y a déjà eu des violences commises dans le passé : « Les choses se sont passées ainsi avant, elles ne pouvaient donc se passer autrement ».  Mais la chaîne de causalité est ici erronée.

C’est pourquoi l’avocat demande la relaxe.

L’avocat raconte alors avoir écouté il y a quelques jours un podcast produit par l’Andra,  qui s’appelle 100 000 ans, et qui fait référence à une BD qui porte le même nom et qu’il nous conseille. Dans ce podcast, on invite à réfléchir à la question de la mémoire et de la durabilité, et notamment aux travers les dires d’une autrice scientifique qui se plait à imaginer le monde autrement à travers des « Et si… »

En montrant le tableau abhoré dans la salle d’audience et qui dépeint la retraite de 1871 des soldats : « Et si les allemands avaient réussi à passer, y aurait-il eu la commune de paris ? »
Et cette manifestation du 15 août, si les forces de l’ordre ne l’avaient pas interrompu, et s’ils étaient restés cantonnés au laboratoire de l’Andra, y aurait-il eu des jets de projectile, ou ce que la conjecture appelle des violences ?

Ironiquement :  » Grâce au podcast de l’ANDRA, on peut voir les choses autrement, on peut réfléchir autrement, on peut penser autrement. »

L’avocat revient alors sur l’accusation « d’avoir eu l’intention de » et se demande si les éléments des comptes-rendus trouvés lors des perquisitions établissent que ces personnes avaient eu l’intention de commettre des infractions. Il explique que dans ces comptes-rendus, on y parle de tout sauf d’infraction pénale. On y parle de stickers, de tracts, de visuel, de trouver un terrain, de matos: et c’est ce terme matos qui suffit aux enqueteurs à penser que des infractions vont être commises, alors qu’il s’agit de chaises et de tables… Il explique alors que la Maison de Résistance – ce que le procureur a ce matin choisit de nommer le « QG infractionnel » – est grande et vaste, qu’il s’y passe des activités différentes, et que personne ne peut y avoir une connaissance complète de tout ce qu’il y a.

L’avocat conclue alors en parlant de la loi anticasseur de 1970, qui permettait de condamner des personnes qui restent dans une manifestation pendant que d’autres commettent des délits. En 1981, ce délit est abrogé car elle est considérée comme contraire au droit.
Entre 1970 et 1981, peut-être auriez-vous pu condamner des personnes pour cela alors que le comportement reproché n’est pas en droit punissable.

L’instruction s’ouvre sur un rapport qui fait part d’une histoire racontée par la gendarmerie, et toute l’enquête a comme pour but de confirmer cette histoire. Cette histoire est la suivante : les militants s’organisent en vue de commettre des infractions. Et l’information judiciaire tourne en rond pour démontrer que cela est réel.

« Michel Foucault a dit : « La justice est au service de la police. » Cela peut paraitre choquant aux oreilles de magistrats. Je vous demande de faire mentir Foucault, en démontrant que vous n’avez pas à l’être.

J’ai entendu dans les mots du procureur qu’il souhaitait se démarquer de son prédecesseur, dont le comportement a été fortement dénoncé dans des rapports de la LDH. Peut-être le souhaitez vous vraiment : mais j’aimerais que vous le montriez. C’est à vous de démontrer les faits, les accusations, ce n’est pas à nous de démontrer notre innocence.

 

Fin de la plaidoirie

 

Le juge donne alors la parole à chacun.e des prévenu.e.s en les faisant se lever tour à tour; il leur demande si ils et elles ont quelque chose à ajouter, ce à quoi ielles répondent non.

Il annonce alors que le jugement sera rendu le 21 septembre 2021 à 9h.