Le procès entre les murs : Jour 2

Il est 9h20.

L’audience commence.

Le président commence par résumer ce qui s’est passé hier après-midi en l’absence des prévenu.es. Tout ça reste assez formel et mielleux. Le procureur répète qu’il ne posera pas de questions puisqu’il « respecte le droit au silence ».

La sonorisation est toujours aussi mauvaise, on n’entend rien, mais ça ça fait des années qu’on le dit…

Le juge pose les « éléments de personnalité » (il lit les casiers judiciaires) et demande mis.es en examen s’illes reconnaissent les faits qui ont été listés hier : tous et toutes gardent le silence d’une manière différente. Une des personnes s’étire pendant la lecture qui la concerne et qui est un peu longue. Elle en vient même à danser, ce qui fait dire au président : « heu, la gym tonique, c’est terminé ».

Une personne prévenue prend la parole quand même pour rappeler qu’elle a toujours une interdiction de territoire et un contrôle judiciaire, ce que le président n’avait pas mentionné.

Le juge est piégé dans son programme : il a donné rendez vous aux témoins à 14h et il n’a plus rien à dire ce matin.

Après un rappel de ce qui a déjà été fait de la procédure et que le juge ait ironisé « on a fait les questions de personnalité, avec le succès que vous connaissez », l’audience est suspendue et reprendra à 14h avec les témoins.

 

Il est 14h.

Le juge demande à l’huissier de faire entrer les témoins, tour à tour. 

1er témoin

Le premier témoin entendu fut celui qui a piloté l’instruction pour association de malfaiteurs durant 3 ans et demi : Kévin Le Fur. Sollicité par nos avocat-es, le juge a accepté de comparaître à la barre.

Une nouvelle fois, la sonorisation de la salle a posé problème et ne permet pas au public dans l’audience d’entendre tous les débats même en tendant l’oreille. Le juge Le Fur lui-même a 4 fois demandé que la question lui soit reposée car il ne l’avait pas entendue. Mais peut-être, le concernant s’agissait-il d’une stratégie de diversion ? Peut-être n’était-il pas à l’aise avec ces questions ?

Le juge serait-il partial ? Il se retrouve régulièrement dans la position de juger des personnes lors d’audiences en correctionnelle, alors qu’il surveille ces mêmes personnes dans le cadre de l’instruction pour association de malfaiteurs. Comment gère-t-il ces multiples casquettes ? Comment gère-t-il ce conflit d’intérêt ? On n’obtiendra pas de réponse, si ce n’est qu’il estime que les deux fonctions sont « viscéralement » distinctes et qu’il peut rester impartial . Enfin, on ne saura pas comment !

Autre méfait de sa partialité : le 13 février 2017, il a profité de sa qualité de juge du siège pour mettre en place un imsi-catcher (une valise qui permet d’aspirer toutes les communications téléphoniques à plusieurs centaines de mètres à la ronde) lors d’une audience en correctionnelle. Savait-il qu’il serait le président de cette audience ? « Oui » confirme-t-il, tout en affirmant que n’importe quel citoyen pouvait avoir connaissance de la tenue de cette audience. Le conflit d’intérêt semble pourtant flagrant. Les avocat.e.s sidéré.e.s soulèvent alors que personne, pas même le personnel du tribunal, n’était informé de ce dispositif. «C’est tout à fait insupportable ! » s’indigne l’avocat. Mr Le Fur est-il satisfait du résultat de ce dispositif ? Sur des centaines d’interceptions, seules 5 présentent des recoupements avec les faits de l’affaire. Est-ce un résultat satisfaisant ? « L’instruction n’a pas d’obligation de résultat », mais selon lui cela a tout de même fait avancer l’enquête.. alors ça va ! A-t-il déjà eu recours à un imsi catcher dans le cadre d’autres affaires ? On n’aura pas la réponse non plus, soi-disant cela mettrait en péril le secret de l’instruction. Un avocat lui rappellera que le secret d’une instruction porte sur des faits précis et datés, alors que la question porte sur les moyens. Il bottera en touche.

A plusieurs reprises au cours de ces trois ans et demi, lors de perquisitions, des éléments, des tracts, des guides, des cahiers en lien avec les luttes antinucléaires mais pas que, sont mis sous scellés. Là encore, un avocat fait remarquer que ces documents ne permettent pas de concourir à la manifestation de la vérité mais permettent surtout d’en connaître davantage sur les idées politiques des prévenu-es. Les investigations très poussées par exemple sur la Maison de Résistance ne le sont pas toujours (rarement) sur les faits. Une extension de son pouvoir à des fins de renseignement… Le Fur ne se précipitera pas pour dissiper le doute.

Des échanges entre les prévenu-es et leurs avocat-es se sont retrouvés versés au dossier d’instruction, quid alors du respect des droits de la défense et du secret professionnel ? Selon le très jeune juge d’instruction (30 ans seulement), ces échanges étaient des données stockées et pas des correspondances, alors ça change tout. Pourtant, un sms envoyé reste une correspondance, même s’il est stocké.

Le coût de l’instruction ? On ne saura pas non plus. Pourtant, au regard du résultat recherché, il serait intéressant de connaître les moyens financiers déployés ! Mais Le fur « ne pourra pas le donner, il n’y a pas de seuil à ne pas dépasser » ! Aucune contrainte budgétaire pour assurer la surveillance des opposant-es à Cigéo !

En résumé, Le Fur a multiplié les esquives, répétant sempiternellement la même phrase, son « rien à déclarer » à lui, en l’occurrence : « Je ne commenterai pas mon ordonnance de renvoi devant le tribunal ».  Au fil de l’audience, il est passé d’une attitude désinvolte à une posture tendue, les deux mains sur la barre.
L’audition de ce témoin clé n’aurait pas été complète sans la question épineuse du prélèvement d’ADN. A plusieurs reprises durant l’instruction, les gendarmes sous ses ordres ont prélevé de force l’ADN de personnes en garde-à-vue – ce qui n’est pas légal. Ils ont notamment eu la fâcheuse tendance à voler pour cela les sous-vêtements des personnes. « Dans le dossier on voit notamment un slip et une culotte dont une avec une protection hygiénique », assène l’une des avocates avant d’interroger Mr Le Fur : « est-ce que cela vous semble acceptable, au vu du principe de la dignité, de savoir que 2 personnes qui comparaissent devant vous à l’issu de la garde-à-vue, ne portent pas de slip ? ». Malaise dans la salle. Le Fur bafouille péniblement qu’il n’avait pas cet « élément en tête » sur le moment. Il ne pouvait pourtant pas l’ignorer.

Pour les avocat-es, Le Fur ne semble pas avoir eu une attitude et des réponses menant à la manifestation de la vérité qui lui est soi-disant si chère.

2e témoin

Le 2e témoin était Bernard Laponche, 82 ans, ancien ingénieur dans le nucléaire et membre fondateur de l’association Global Chance.

Il va à toutes les concertations.

Mr Laponche a commencé par rappeler une historique de l’industrie nucléaire et l’intention initiale de trouver différents sites d’expérimentation. Il a décrit comment très vite l’entonnoir des solutions pour les déchets s’est réduit jusqu’à imposer une seule solution, certes légale mais imposée et sans alternative.

Mr le Président l’a assez vite interrompu pour lui signifier que l’histoire des déchets nucléaires «  c’est passionnant, mais on ne refait pas l’histoire non plus. Il faut un lien avec les faits. Mais c’est passionnant ! ». La défense a pu tout de même convaincre le tribunal que le dénominateur commun des faits reprochés est la lutte contre le laboratoire, le rappel du contexte est donc tout a fait pertinent. Mr Laponche a pu poursuivre.

Il est contre l’enfouissement, il a parlé de 3 autres exemples d’échecs d’enfouissement en couches profondes dans d’autres pays, ainsi que de l’expérience de Stockamine. L’avocat l’a interrogé sur la question de la réversibilité et lui a fait confirmer la haute dangerosité des colis stockés, qui laisserait une espérance de vie de quelques minutes à toute personne qui s’en approcherait.

3e témoin

Il s’agit de Vanessa Codaccioni ayant travaillé sur la justice d’exception.

La criminalisation de l’activité militante prend différentes formes :
– classique
– extraordinaire (dissolution des orgas)
– dispositifs exceptionnels
– création de nouvelles infractions, par exemple « en vue de »

Ce type d’infraction est dangereux car il s’agit de criminalisation préventive. On en veut pour exemple les interdictions de manifestation ou de séjour, qui ont beaucoup été utilisées contre les gilets jaunes.

La punition de l’engagement existe déjà dans l’histoire de France, à la différence que les gens dans le prêtoir étaient reconnus comme des ennemis politiques portant atteinte à l’autorité de l’État. Les deux parties reconnaissaient la nature politique du procès, et il existait des spécificités de détention ou encore l’amnistie politique.

Aujourd’hui c’est fini, il s’agit d’une criminalisation dépolitisante assimilée à du droit commun ou pire à du terrorisme.

On le voit dans les mots utilisés à l’encontre des militant.e.s : criminel.les, délinquant.es, fous, terroristes, radicalisé.e.s : Autant de mots utilisés pour délégitimer les luttes.

Cette justice préventive vise la neutralisation avant même de passer à l’acte.

Cela fait 15 ans qu’elle travaille sur les procès de ce type, elle n’y a jamais vu de criminels mais bien des gens qui croient en ce pourquoi ils et elles luttent.

Le dispositif de l’association de malfaiteurs est particulier sur plusieurs points :

1. Il est utilisé comme « coup de filet », il s’agit d’arrêter le plus grand nombre puis la justice doit faire le tri. On passe au principe de « présomption de culpabilité » ce qui revient au droit anti-terroriste.

2. Il s’agit d’un dispositif extraordinaire, avec des moyens de surveillance extraordinaires, légalisés dans le cadre de la lutte contre des attentats avec un haut potentiel meurtrier.

3. La perquisition au cabinet de l’avocat. Elle a elle-même signé une tribune contre cette atteinte grave aux droits de la défense.

Le rôle de la justice jugeante, la justice assise, hérite de tout ca. Souvent les juges sont embarassés et les pouvoirs publics craignent le moment du procès, avec cette instrumentalisation de la justice.

Cela porte atteinte à ce que le célèbre sociologue Bourdieu appelle « la part d’autonomie du juge ».

La justice participe de ce dispositif, soit elle condamne, mais même si elle ne condamne pas, la peine a déjà eu lieu avant avec les contrôles judiciaires, comme on l’a vu dans le procès de Tarnac.

Au moment du procès, la justice ne reconnaît pas qu’elle a en face d’elle des personnes qui croient en leur lutte.

Malgré son pessimisme, elle voit actuellement quelques exemples d’une justice qui tend à faire un frein à la répression, notamment lors des procès pour les décrochages de portraits présidentiels pour dénoncer l’inaction de l’État contre le changement climatique. Dans ce cas la justice a reconnu que les personnes défendaient une cause légitime.

[La suite est retranscrite en gardant la forme des échanges car en faire une synthèse paraissait compliqué]

Avocat.e : Vous donnez des séminaires à l’Ecole Nationale de la Magistrature, y faites vous un exposé similaire ?

V. Codaccioni : Il s’agit d’un séminaire donné depuis 3 ans sur le terrorisme et la démocratie mené avec un magistrat de l’anti-terrorisme. Y sont exposés les dérives de la lutte anti-terroriste lorsqu’elle est utilisée sur d’autres cibles qui ne sont pas des terroristes.

Avocat.e : Les interdictions de séjour sont-elles un frein à l’activité politique ?

V. Codaccioni : On le voit avec les mesures prises contre les gilets jaunes avec une multiplication importante de ces interdictions.

On dit qu’il y a de moins en moins de monde dans les mobilisations mais pour cause, l’interdiction de séjour revient à une interdiction de manifester.

Il s’agit de répression punitive et préventive.

Avocat.e : Les prévenu.e.s ont subit un lourd et long contrôle judiciaire, quelle analyse faites vous de cette décision de justice ?

V. Codaccioni : C’est l’illustration de la mise en œuvre du principe de présomption de culpabilité. Il s’agit d’empêcher une lutte légitime et de briser des liens amicaux. Je suis de manière générale contre la justice punitive, mais si peine il doit y avoir, elle devrait intervenir après le jugement.

Avocat.e : Que pensez-vous du jonglage entre les casquettes de juge d’instruction et juge du siège de Mr le Fur, ainsi que de l’utilisation de la valise IMSI Catcher ?

V. Codaccioni : C’est tout a fait disproportionné. Les valises ont été légalisées en 2016. Elles aspirent les données de plein de gens car on les soupçonnent. C’est l’illustration de procédés qui amènent à des dispositifs d’exception.

On le voit avec les assignations à résidence qui ont été mises en place suite aux attentats du bataclan et qui ont été utilisées contre les militant.e.s écologistes.

Avocat.e : Non-reconnaissance d’une audience politique ?

V. Codaccioni : Il y a des causes structurelles à cela. Depuis les années 80 il n’y a plus de délits politiques ou de Cour de Sûreté de l’État. Cela arrange tout le monde. En effet, dire que c’est politique c’est reconnaître qu’on étouffe des revendications et cela attire davantage la sympathie du public. C’est aussi pour cela qu’on évite parfois les Assises, notamment sur les procès de l’OAS, car on sait que souvent les jurys sont plus cléments.

Avocat.e : QUESTION NON ENTENDUE sur la fouille des idées politiques ?

V. Codaccioni : Liens entre la police et les services de renseignement. Cela s’est vu lors de la guerre d’Algérie et les communistes. Ils se sont toujours intéressés aux idées politiques. Pourquoi le ferait-il si on ne considérait pas que ce sont des militants ?

Il y a une répression qui limite ce qu’il faut penser ou non. Il y a les idées tolérables et acceptables d’un côté, et celles qui ne sont pas légitimes de l’autre.

Avocat.e : ces personnes peuvent-elles être visées pour des questions juridiques précises ?

V. Codaccioni : C’est impossible car elles sont réprimées pour le fait de militer. On ne peut donc se limiter aux questions de droit.

Avocat.e : Quels sont les reproches faits à Maitre Ambroselli ?

V. Codaccioni : participation à manifestation et diversion

Avocat.e : avez-vous déjà netnedu parlé des baby blocks ?

V. Codaccioni : Jamais.

Avocat.e : En tant qu’avocat en droit de l’environnement, il a défendu de nombreux membres d’associations. Dans la jurisprudence, il est très rare que ces personnes soient poursuivies pour ces types de délits (manif non déclarée et ?) Pourtant ce sont des faits qui arrivent beaucoup. Depuis quelques temps on note tout de même un point de bascule. Depuis quand ? 2015 ?

V. Codaccioni : C’est une question complexe. Les interdictions de manifestation ont été utilisées pendant la Guerre Froide contre les communistes. Toutes leurs manifestations étaient interdites et pourtant il y en a eu 450. Au début il y avait des poursuites puis une certaine tolérance, aussi parce qu’il y eu une déradicalisation des mobilisations.

En 2006, avec le CPE, il y a un renouveau des mouvements sociaux.

En Europe on voit l’émergence du Black Bloc et avec cela une volonté de gérer et d’empêcher les manifestations.

Avocat.e : Vient ensuite la loi sur l’état d’urgence. Normalement le juge judiciaire est le garant des libertés. Avec la loi il y a une dépossession de ce privilège du Tribunal d’Instance au profit du Tribunal Administratif : il y a t-il une surenchére entre les deux pour savoir lequel garantira les libertés.

V. Codaccioni : C’est la vision depuis 1945. Les jugeants sont dépossédés. Dans cette affaire et d’autres, les choses se sont jouées avant le passage devant le juge judiciaire : avec l’enquête, l’instruction et la surveillance. En outre on voit une concurrence par l’administration. C’est un rôle pernicieux avec un grignotage des fonctions du juge judiciaire.

Avocat.e : Deux tiers des infractions du dossier sont des infractions « en vue de ». Qu’en pensez-vous ?

V. Codaccioni : C’est une criminalisation de l’intention, une neutralisation de (?). C’est un problème si cela s’applique au domaine des idées.

Pour les gilets jaunes par exemples, sur une centaine de dossier, 99 % sont inculpés pour participation « en vue de ». C’est un grand fourre-tout.

Avocat.e : Ici, c’est une complicité d’infraction en vue de, le tout en réunion.

V. Codaccioni : C’est délirant Mr le juge

Avocat.e : Il s’agit d’une complicité d’une intention pensée en bade organisée.

V. Codaccioni : Cela me fait penser à l’association de malfaiteur. Un coup de filet, puis la justice trie.

Avocat.e : On voit une dépossession du juge correctionnel. On a cité plusieurs témoins. Malgré 4 ans d’instruction, il n’y a qu’une demie-journée de lecture « des faits » pour 22 000 pages de dossier. Le tribunal a été contraint de suspendre l’audience à 15h30 hier et de 10h à 14h ce matin faute d’éléments, notamment à charge, du parquet. Personne n’est cité en face.

V. Codaccioni : je ne suis pas étonnée. Il y a souvent un manque de preuves dans ce type d’affaires. On l’a vu dans les années 68 et les dossiers sur les mouvements autonomes. C’est creux mais on essaye. La punition est avant.

Avocat.e : Est-ce courant que la défense soit ainsi dépossédée de l’audience car rien ne vient en face ?

V. Codaccioni : C’est rare !

Avocat.e : Dans le dossier il est dit d’une personne membre d’une association, participant aux réunions et aux manifs, qu’elle ne pouvait donc pas ignorer la présence de composants d’engins incendiaires dans le local associatif.

V. Codaccioni : Je ne veux pas accabler les magistrats du parquet mais c’est vraiment flou, cela relève de l’intention

C’est comme pour les gilets jaunes à qui on reprochait le fait que porter un drapeau pouvait revenir à porter une arme.

Avocat.e : sur cette mention « ne pouvait ignorer » avancée en l’absence totale de preuve, avez-vous déjà vu ca ?

V. Codaccioni : Non.

Le procureur qui sort de sa torpeur : Comment poser des questions à des prévenu.e.s qui exercent leur droit au silence ?

On ne peut pas.

4e et dernier témoin

Le juge : Monsieur le Huissier, allez chercher Monsieur Claude Kaiser.

Claude Kaiser entre dans la salle.

Le juge lui demande de se présenter et lui fait prêter serment. Il lui demande s’il souhaite faire une déclaration, Claude lui répond qu’il préfère qu’on lui pose des questions.

Un avocat lui demande de faire un bref historique de la lutte des militant.e.s contre Cigéo.

Claude explique que cela fait 28 ans qu’il est entré dans cette lutte. En1993, les élu.e.s de Meuse se rassemblent pour discuter autour de l’implantation d’un laboratoire de recherche de l’ANDRA pour travailler sur l’enfouissement de déchets radioactifs. Auparavant, l’ANDRA avait tenté de s’implanter dans d’autres régions, elle ne parlait pourtant pas de laboratoire mais de centre d’enfouissement  : dans ces régions,  il y a eu des rassemblements, des manifestations, et même du sabotage ; le projet n’a jamais pu se concrétiser. En Meuse, les pouvoirs publics sont venus avec une stratégie différente : « il ne s’agissait plus d’un centre d’enfouissement mais d’un laboratoire de recherche en vue de l’enfouissement »

(rires dans la salle)

Le président : S’il-vous-plait, il ne faut pas se moquer du témoin qui est là.

Claude reprend.
Il explique que pour ce projet de laboratoire, il a été proposé aux communes un accompagnement financier. Cela n’était jamais arrivé jusqu’alors ; et c’est la première chose qui l’a révolté. « Pardonnez-moi l’expression, mais c’est ce que j’appelerais une corruption institutionnelle : c’est comme si moi, élu, je distribuais des billets sur des coins de table pour faire valider un projet. J’ai ressenti une humiliation. Je me suis senti sali, acheté, trahis par ceux qui se sont portés candidats sans ne jamais me consulter. » Il explique être ému d’en parler à cette barre aujourd’hui, car cela l’a bouleversé. La façon dont ça s’est passé l’a bouleversé.

Il explique que la plupart des gens étaient contre l’implantation de ce laboratoire, mais qu’on est dans un système où c’est difficile de dire quelque chose quand il y a une telle pression.

C’est cette humiliation qui lui a donné de la colère. Il ne comprend pas comment on en est arrivé là, comment on en est arrivé à mépriser la parole des gens, à se moquer de la démocratie.

Oui ils ont fait des actions, oui ils ont boycotté le débat public, et c’est quand ils ont réussis à arrêter le débat public que la lutte a pris une ampleur nationale.

En 1998, le gouvernement Jospin et socialiste-écologiste est au pouvoir. Les petits élus dont Claude fait partie prennent rendez-vous au cabinet Jospin. Ce n’est pas lui mais sa conseillère qui les reçoit. Elle les laisse d’abord s’exprimer, puis au bout de trois minutes elle les arrête et leur dit que les arguments qu’ils donnent sont de bons arguments, et qu’ils ont raison : il faut faire autrement que de se lancer dans la création d’un centre d’enfouissement. Claude n’en croit pas ses oreilles, il s’imagine alors que finalement, c’est possible, ils n’auront pas Cigéo !… Jusqu’à ce que la conseillère leur explique que si, ils auront Cigéo : ils diront non au début, en raison de sa dangerosité, mais ensuite, parce que l’ANDRA et ses alliées feront du lobby et utiliseront leurs soutiens dans le secteur, le non se transformera petit à petit en oui mais.

Claude demande alors ce qu’ils peuvent faire : la conseillère leur répond que si ils arrivent à mettre 10 000 personnes dans la rue, alors un rapport de force sera peut-être possible. Mais, en Meuse… comment cela serait-ce possible ? « C’est bien pour cela que la Meuse a été choisie », leur répond la conseillère.

Claude sort de ce rendez-vous mortifié. Il explique qu’au début, en tant qu’élu, il avait confiance en les institutions. Seulement il se rend désormais compte qu’une seule chose compte : le lobbying et le rapport de force. Sans cela, il n’est pas possible d’obtenir gain de cause sur un sujet aussi important. Il faut se battre : car si on ne se bat pas, on ne peut pas gagner.

« Ça change la vie d’un homme. (…) Oui j’ai organisé des manifs, oui j’ai participé à des évènements : mais je n’avais pas le choix. »

Claude explique qu’il se sent co-responsable de tout ce qu’il s’est passé durant ces années de lutte contre Cigéo : car il a participé à cette colère.

Un avocat lui demande si cela est facile de manifester contre Cigéo.

Claude répond que non, car il faut beaucoup d’énergie pour cela, il faut croire en la cause qu’on défend. Ce n’est pas comme aller acheter une baguette de pain. C’est aussi devoir affronter le regard de ses pairs qui sont effrayés par ce type d’action. Pourtant, on n’a pas le choix, on ne peut pas gagner autrement.

Ce n’est pas facile car on peut être mis à l’écart, être vu comme quelqu’un d’extremiste, de violent ; pourtant, au fil des années, on gagne aussi un certain respect.

Ce n’est pas facile car on peut aussi rencontrer des difficultés avec les autorités.

Un avocat lui demande de décrire davantage les conditions d’acceptation d’un projet nucléaire : comment cela se manifeste, est-ce que le préfet fait pression, pose des sanctions ?

«  Des sanctions, jamais. Parfois des menaces voilées qu’on ne peut pas prouver. » Claude raconte alors la fois où un RG lui a dit « On ne peut pas vous acheter, mais par contre sur votre vie privée on a quelque chose à dire. » C’était une période où Claude rencontrait des difficultés dans sa relation amoureuse. « Comment vous savez-ça ? » lui avait-il répondu. Le RG lui dit qu’il disait ça pour plaisanter… « Mais c’est toujours pour plaisanter. Tout ça, ça entretient une atmosphère nocive, et qui fait du mal. »

Un avocat lui demande ce qu’il pense de cette nouvelle génération de militant.e.s qui s’oppose.

Claude répond qu’elles sont animées par un idéal et qu’à ce titre, elles méritent son respect.

L’avocat lui demande alors ce qu’il pense de la répression judiciaire. Claude lui répond qu’elle lui semble démesurée vu les faits reprochés, et qu’il aurait pu lui aussi se retrouver sur le banc des accusé.es. Il raconte qu’il a en effet failli accepter de faire partie de la collégiale de l’association BZL.

Le juge demande aux avocat.e.s si ils et elles ont d’autres questions. « Non. » Il pose la même question au procureur qui répond, une fois encore, et sans grande surprise : « Pas de question. »

Le juge : « Je le dis pour la forme, Monsieur Abadi a prévenu qu’il ne serait pas là. »

Il n’y a plus de témoin, alors le juge dit qu’il pense important que les prévenu.e.s, « quand ils sont calmes, aient la possibilité de s’exprimer. » Il leur demande tour tour si ils ont quelque chose à dire. Tous et toutes répondent qu’ils et elles n’ont rien à dire.

Le juge clot le débat et demande à l’avocat de la partie civile s’il souhaite prendre la parole maintenant, ou après une pause. Celui-ci répond qu’il préfère demain matin, ce à quoi le juge répond qu’il préfère aujourd’hui. Alors il s’approche :

«  La commune de Bure n’est ni militante, ni scientifique, ni universitaire et ce n’est pas tous les jours facile d’être maire de Bure. Je suis ici pour ne pas être silencieux, mais pour ne pas trop occuper le banc de la justice, je vais être bref. »

Il raconte qu’il est né dans cette ville de 85 habitant.e.s, et qu’il y a des ressentis partagés quant à la lutte contre Cigéo. Mais qu’il faut distinguer le fond de la forme : si le fond est légitime, la forme doit aussi l’être. La commune est propriétaire d’un hôtel-restautant dont les fond publiques appartiennent à la collectivité. Le 20 juin, cet hotel aurait été envahit au petit matin et il y aurait eu un départ de feu. Il souhaite mettre en avant l’existence de cette commune et son droit à la parole. Il demande alors à rentrer en droit de condamnation et de recevoir, ainsi que l’assurance Groupama, un préjudice moral. Le site web de la lutte contre Cigéo porte selon lui atteinte à l’image de la population : il demande 50 000 euros pour cela. Groupama, qui est l’assurance qui a pris en charge les dégradations de l’hôtel-restaurant, aurait engagé 18000 euros de frais. Enfin, il demande 4000 euros de frais pour la commune. « C’est une démarche pour faire reconnaître la difficulté d’une petite commune. »

Le juge remercie l’avocat, et lève la séance. Il est 18h05, nous reprendrons à 9h demain.

Un avocat de la défense demande si la défense aura le temps de plaider demain : en effet, nous venons de terminer le 2e jour de procès, et nous n’avons encore pas, ou trop peu, entendu le procureur. On pourrait donc craindre que demain, il ait tant à dire que la défense ne trouve pas de temps pour s’exprimer.

Le procureur s’emporte de colère : il dit qu’il ne s’est pas chronométré mais que la défense pourra plaider dans la matinée.

Et en effet, la défense a eu tout le loisir de le faire : car le procureur s’est tu au bout de 45 minutes.