Le procès entre les murs : Jour 1

SYNTHESE DE CE 1er JOUR DE PROCES ENTRE LES MURS !

Tout d’abord… Le décor : 20 chaises espacées chacune d’un mètre, des bancs (ceux du fond sont vides, ceux à l’avant sont occupés par les avocat.es et quelques journalistes). Au coeur de la scène, le président Sylvain Roux et ses deux assesseur.ses ; à gauche, le procureur et une assistante ; à droite, les 7 prévenu.es, assis.es sur un banc, les un.es à côté des autres. 3 gendarmes sont debout, entourent la salle, et font des allers et venues avec l’extérieur.

Croquis d’audience par Grégory Mardon

L’audience est ouverte ! Un débat commence entre le président et la défense au sujet des proches qui n’ont pas encore pu entrer à l’intérieur. 3 sont finalement autorisées à entrer, s’en suivront d’autres dans la matinée au fur et à mesure que les places se libèrent.

– Le président du tribunal commence par rappeler les différents chefs d’inculpation pour chaque prévenu.e : détention d’explosifs en bande organisée ; association de malfaiteurs (pour l’organisation de la manif du 15 août) ; organisation d’une manifestation sans déclaration ; participation à un rassemblement après les sommations sans porter d’arme ; violences sans ITT en réunion sur forces de l’ordre.

– Il demande ensuite aux parties civiles de se présenter : on apprend alors que la commune de Bure et Grouparama Grand-Est se sont constitués parties civiles, pour des faits qui ne sont même plus poursuivis ici. Seul leur avocat est présent.

L’andra, de son côté, a anoncé récemment par courrier qu’elle renonçait à se constituer partie civile.

– Le président demande alors aux témoins de se présenter à la barre : Claude Kaiser, maire de Ménil-la-Horgne ; Bernard Laponche, physicien nucléaire opposé au projet CIGEO et Kévin Le Fur, juge d’instruction qui a instruit la présente instruction. Vanessa Codeccioni, historienne et politologue ayant travaillé sur les dispositifs de justice d’exception en France, n’est pas présente mais sera là demain.. L’ancien directeur de l’Andra, M. Abadi, a prévenu par écrit qu’il ne viendrait pas à sa convocation.

Le président leur donne rendez-vous mercredi avant 14h car illes ne doivent pas assister aux débats : illes attendront donc ensemble dans une même salle, que l’huissier les appelle un.e par un.e dans la salle afin de répondre aux questions.

– À ce moment, l’un.e des avocat.es prend alors la parole pour demander à ce que la pause méridienne soit prolongée jusqu’à 16h pour que les mis.es en examen, ainsi que leurs avocat.es, puissent participer à la manifestation prévue à 14h. En effet, ils et elles considèrent que cette manifestation et les problématiques qu’elle visibilise sont suffisamment importantes pour qu’ils et elles puissent participer.

Le procureur, évidemment, répond que cette audience est juridique et non politique… or, cette demande étant d’ordre politique et non juridique, il n’est pas possible de s’adapter. On est ici pour débattre et non pour parler de nucléaire ou d’émettre le moindre avis sur le projet Cigéo !

Le président explique qu’un calendrier a été fixé et qu’il convient de le respecter. L’audience aura donc lieu selon les heures prévues, avec ou sans la présence des personnes prévenues.  Les avocat.es répondent donc que dans ce cas, ils et elles se laissent la possibilité de participer à la manifestation de l’après-midi.

– Les avocat.es exposent ensuite les nullités. Nous essayons ici de les résumer, avec nos mots et ce que nous en avons compris : 

-> L’un.e commence par raconter dans quelles circonstances l’un.e des prévenu.es s’est fait contrôler il y a deux jours à Bure, par des gendarmes mobiles et sur réquisition du procureur de la République, pour finalement qu’il lui soit juste demandé de repartir. Les gendarmes continuent à Bure leurs contrôles d’identité incessants, on regrette beaucoup que cela soit toujours le cas, encore deux jours avant le début de ce procès.

-> Un.e rappelle la distinction qui doit être faite entre les éléments
matériels et les éléments intentionnels, et explique qu’en ce qui
concerne l’infraction de « détention d’explosifs en vue de », les éléments intentionnels ne figurent pas dans l’ordonnance, où seuls sont détaillés les éléments matériels. Dans l’ordonnance, rien ne dit que cette détention ait eu pour but un incendie ; rien ne dit non plus que cette détention aurait été organisée par des inculpé.es.

-> Nullité inaudible… Déso, on demandera !

-> Un.e explique qu’une demande de restitution de scellés avait été faite en octobre 2019 et que la réponse a été apportée seulement 18 mois plus tard. Surtout, à l’occasion de la recherche de ces scellés dans les placards, plusieurs pièces qui avaient été oubliées ont été retrouvées. 300 pages ont alors été ajoutées au dossier fin février 2021 alors que l’instruction était clôturée depuis décembre 2020. Normalement, cet ajout de nouvelles cotes aurait du faire repartir un délai de 3 mois pour que les avocat.es aient le temps de vérifier la validité de ces nouvelles pièces, ce qui n’a pas été le cas puisque ce délai a été de seulement 4 jours. Le juge d’instruction s’est dispensé des formalités sans même s’en expliquer, comme si les délais étaient déjà programmés d’avance et qu’ils ne pouvaient pas être modifiés.

-> L’un.e distingue différents types d’impartialité, parmi lesquelles
l’impartialité d’apparence, et se demande s’il y a eu parti pris du
juge d’instruction et du tribunal en faveur du ministère public. En
effet, en janvier 2021, les prévenu.e.s lisent dans la presse une
interview du procureur qui annonce qu’il y aura probablement une
audience pour Bure dans le courant de l’année 2021. À ce moment là, ni les avocat.es ni les prévenu.es n’avaient reçu l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel (= document qui synthétise les faits reprochés, les enquêtes policières et annonce la date du procès). La question se pose alors : quand la décision a t-elle été prise et dans quelles conditions ?

Le procureur prend alors la parole pour répondre aux nullités et les contester, avec fougue, détermination, et vivacité ! Il revient sur chaque nullité ou presque.
D’abord, il défend que sont proscrits le harcèlement public par les forces de l’ordre et les réquisitions préférentielles (visant une personne en particulier). Il parle beaucoup et de façon très juridique. Aussi, il revient sur l’accusation de harcèlement par le ministère public « enfantée par la défense » qu’il qualifierait plutôt de paranoïa. Et explique notamment que le conditionnel était employé dans son interview pour la presse annonçant le procès Bure.

Selon lui, cette accusation de partialité « jette l’opprobre sur le ministère public en habillant ça de fantaisies juridiques », « on sort les rames du côté de la défense ».

La défense prend de nouveau la parole pour répondre au procureur, nullité par nullité.

Elle ne s’explique pas le courroux du procureur : insiste sur le fait qu’on ne sait pas, qu’il n’est pas écrit, la raison pour laquelle des explosifs étaient détenus et à quoi ils auraient pu servir. Le procureur s’est empressé de répondre sur la question de l’impartialité mais s’est bien gardé de répondre sur ce sujet.

Elle précise qu’elle a bien parlé d’impartialité d’apparence : on parle de procès en 2021, et comme par hasard, en 2021, le procès a lieu. Elle est là, cette apparence qui angoisse et qui inquiète, et qui fait que les inculpé.es et avocat.es s’interrogent.

Paranoïa ? Dans les 300 pages ajoutées, même si cela ne concerne pas les personne prévenu.es aujourd’hui, les avocat.es auraient du pouvoir en vérifier la validité et exercer des droits de recours, c’est une question de droit et ça n’a pas été possible.

– Ensuite, le président demande aux prévenu.es de se présenter chacun.e leur tour pour dire si ils et elles veulent répondre aux questions ou faire des déclarations. Plusieurs d’entre elleux se présentent afin de lire la déclaration préalable qu’illes ont rédigée et préciser qu’illes ne répondront pas aux questions ensuite.

Pour lire ce que les prévenu.es ont déclaré, cliquez-ICI

– À la fin de sa déclaration, un.e prévenu.e ajoute qu’il y a une phrase qu’ille n’a pas écrite mais qu’ille aimerait ajouter : comme ille vient de parler d’utilisation des énergies et d’électricité, qu’il fait beau et que la lumière du soleil rentre dans la salle, ille aimerait qu’on éteigne « les lumières ici allumées qui ne servent à rien ».
Après le renouvellement de cette demande par la prévenue suivante avant de lire sa déclaration, le président du tribunal répond que si personne n’en a l’utilité, alors oui on peut ! :-)

Croquis d’audience par Grégory Mardon

– Le président commence alors « l ‘instruction du dossier » : il va
parcourir l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel : un dossier de 180 pages que les prévenu.es et leurs conseils ont reçu et dans lequel les faits qui leur sont reprochés, ainsi que le détail des enquêtes policières et auditions sont synthétisés, document qui justifie, pour eux, un procès et un jugement.

Le président se fait interrompre à plusieurs reprises par la défense,
notamment lorsqu’il ne lit pas certains passages qui pour elle sont
importants pour une bonne compréhension globale. Le juge accepte, faisant quelques commentaires parfois pendant sa lecture.

À 13h10, l’audience est suspendue pour la pause de midi. Elle
reprendra à 14h10, avec ou sans les avocat.es et prévenu.es.

14h10 : Deux avocats sont présents dans la salle : les prévenu.es et les autres avocat.es semblent être parti.es manifester.

Le président arrive à 14h20 et reprend la lecture d’une partie de l’ordonnance dans une salle à moitié vide. Une fois de plus, la défense l’interrompt pour lui demander de lire certaines parties de l’ordonnance, ou pour rappeler que le conditionnel doit être employé lorsqu’il lit des accusations envers les prévenu.es, au risque sinon de faire entendre que le tribunal a déjà décidé de la culpabilité de certain.es, avant même la fin des débats.

15h10 : Le président a terminé de lire ce qu’il souhaitait de l’ordonnance. Normalement devrait suivre les interrogatoires, or il remarque que les mis.es en examen ne sont pas présent.es, bien qu’illes aient dit qu’après leur déclaration, ielles ne diraient plus rien, et il a été donné rendez-vous aux témoins le lendemain après-midi seulement. S’ensuit un moment de flottement où le président prend les avis de ses assesseur.ses. Il demande ensuite quand les mis.es en examen sont censé.es revenir, ce à quoi l’un des deux avocats répond que la manifestation étant prévue jusqu’à 16h, peut-être seraient ielles de retour à cette heure là.

Le président demande au procureur de s’exprimer sur la suite. Le procureur, évidemment, s’emporte, et dit que lui a décidé de ne pas participer à la manifestation et qu’il est donc à la disposition du tribunal. Il évoque la prise d’otage du tribunal qui devrait attendre que ces messieurs dames veuillent bien revenir.

L’un des deux avocats demande à ce que cessent ces attaques et précise bien que la défense est là aussi et que personne ne demande la suspension de l’audience.

Après une suspension de 10 minutes, le tribunal revient pour annoncer la clôture de cette première journée d’audience puisqu’il n’y a plus rien à dire pour aujourd’hui et de reprendre demain à 9h.