Je suis vraiment effarée de ce que ça représente d’être militant.e.s dans cette campagne

Je suis venue pour la première fois à Bure il y a deux ans pour le festival des Burlesques.

J’avais un peu de temps, alors je suis arrivée quelques jours avant pour aider aux préparatifs.

Le premier soir, au moment de manger quelqu’une cris : « Gendarmes ! » Mais que se passe t’il ? Je me renseigne, je ne comprend pas. « On est en train de nous filmer, c’est pour nous ficher, c’est comme ça ici » m’explique t’on. Première stupéfaction….

J’ai déjà donné des coup de mains dans d’autres festivals militants, c’est bien la première fois que je vois ça. Je n’ai pourtant pas l’impression de faire quelques chose d’illégal, j’aide juste à monter des chapiteaux !

Le lendemain on me prête un camion pour aller chercher du matériel. Tout naturellement on me dis : « Quand tu sors, tu vas à gauche, et au premier barrage de flic tu prends la route à droite ». L’orientation, quand des opposant.e.s se préparent à un rassemblement grand public et familial de sensibilisation contre CIGEO, se fait en fonction des check-points ! Je n’en reviens pas. Ce qui est fou, c’est que c’est rentré dans la vie quotidienne de ces personnes.

Ensuite on se dépêche de finir de trimbaler les derniers matériaux dont on a besoin avant les arrêtés préfectoraux qui vont tomber. Il sera par exemple interdit de déplacer des bouteilles de gaz, ce qui est un peu compliqué quand il faut faire à manger pour des festivaliers attendus par milliers ; pas de dérogations même pour les membres de l’association qui portent cet évènement !

J’apprends que des personnes ne peuvent pas venir car ils sont interdits de territoire ou n’ont pas le droit de se voir, des simples militant.e.s. Au début des spectacles, on leur adresse des pensées.

Je suis vraiment effarée de ce que ça représente d’être militant.e.s dans cette campagne.

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CIGEO se visite l’été, dans les plaquettes de l’office du tourisme, la Meuse possède un patrimoine industriel incontournable ! Je suis assez curieuse d’entendre le discours officiel après avoir compris un peu plus en détail ce qu’est ce projet lors des Burelesques.

En arrivant sur le site, c’est l’armée qui m’accueille pour me dire où aller. Je dis l’armée, mais peut-être que c’est des gendarmes… leur fourgonnette est de couleur kaki, je me souviens plus de la couleur de leurs vêtements, juste de leurs armes pointées sur moi, et ils me demandent de sortir du véhicule et de présenter ma pièce d’identité. D’autres visiteurs sont venus ce jour là. Je leur demande comment ils ont été accueillis, « par des vigiles» me répond-on J’imagine que l’accueil chaleureux des touristes se fait en fonction du fichage effectué quelques jours avant.

Cet été là, j’en profite pour aller visiter des personnes du coin avec qui j’ai sympathisé. Systématiquement je croise une brigade de flic, certaines fois, je me fais suivre sur plusieurs kilomètres. Est-ce encore une coïncidence ?

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Automne 2019, je « dors » dans mon camion aménagé qui est garé près d’une maison collective à Mandres-en-Barrois, c’est quelques jours avant [la manifestation appelée] « Vent de Bure ». Les flics sont au taquet, les patrouilles passent plus souvent, je n’arrive pas à dormir, ils passent toutes les demie-heure devant mon véhicule, même la nuit. Au bruit des moteurs, je fini par savoir quel véhicule passe, quelle patrouille est en train de me surveiller.

En rentrant chez moi, je fais des cauchemars pendant quelques semaines, où je me fais réveiller en pleine nuit par de nombreux contrôles d’identités et des voitures de flics qui tentent de me rouler dessus la nuit !

Je décide pour mon prochain passage de ne plus faire attention à toutes ces patrouilles, sinon je vais devenir folle.

Hiver 2019, je viens passer les fêtes à la maison de la résistance [à Bure]. Assez banalement on va se promener avec des copines sur des chemins de traverse. Contrôle d’identité pour une promenade dominicale. Je n’ai pas pris ma carte avec moi, je ne pensais pas que pour se balader en campagne, il fallait ses papiers ! La campagne meusienne c’est ça aussi ! Avant d’aller en Meuse, j’avais ma pièce d’identité sur moi seulement lorsque je prenais un avion ou lorsque j’allais chercher un colis à la poste  (il faut préciser que je suis blanche et que je n’ai jamais vécu en banlieue…)

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Hiver 2021, l’enquête pour association de malfaiteur est terminée. Première réunion de groupe de travail à la maison de la résistance, avec une partie des camarades qui ne pouvaient plus se voir depuis plus de deux ans. C’est très émouvant d’être témoin de leur retrouvaille. Je me rend plus facilement compte de ce que ça représente pour elles-eux, en partageant du temps en leur présence sur ce week-end. Les réunions ont aussi plus de force. Les personnes accusées connaissent le projet sur le bout des doigts et sont vraiment des personnes précieuses pour l’opposition à Cigéo.

Avec ces nombreux passages en Meuse, j’ai compris ce que voulais dire la répression policière. Ma vie à radicalement changée. J’ai l’impression d’être une terroriste juste parce-que je suis devenue anti-nucléaire et que je passe régulièrement à Bure. J’ai appris à me défendre numériquement, à éviter les contrôle de police, à me préparer à une garde à vue, à une perquisition, à essayer de cacher ma présence lorsque je passe dans le secteur pour éviter d’avoir des problèmes comme mes camarades de l’association de malfaiteurs.