J’ai toujours été antinucléaire

J’ai toujours été anti-nucléaire, mais je n’ai jamais trouvé de point d’ancrage assez solide pour m’y investir concrètement. Jamais avant de rencontrer ce qui se passait autour de ce petit village de la Meuse. C’était en 2014, il se préparait alors un camp antinuke et anticapitaliste qui devait avoir lieu durant l’été suivant sur un terrain situé à l’ancienne gare de Lunéville, et c’est comme ça que j’ai vraiment appris en quelques jours tout ce qui se passait là-bas depuis presque vingt ans. Il y avait non seulement un projet inutile et aberrant contre lequel se lever, mais surtout des personnes motivées et chaleureuses, de toutes les générations, qui voulaient construire un nouvel élan à la lutte mais en y associant toutes celles et ceux qui se battaient déjà dans les années 90, bien avant que la ministre soi-disant « écolo » Dominique Voynet ne signe ce fameux décret de création du « laboratoire » en 1999, bien avant qu’on entende parler de Cigéo. Pour l’avoir vécu pendant et après, le camp VMC fut un énorme bol d’air pour la lutte et une source d’énergie énorme pour continuer à se battre pour que l’enfouissement ne se fasse jamais, ni ici ni ailleurs.

Après j’ai été un-e de ces « gravitant-e-s » [à Bure], je n’ai jamais habité sur place comme bon nombre de mes camarades, j’ai réussi à y retourner deux ou trois fois par an et à relayer les actions de soutien et les points d’info dans le comité qui a été créé dans la ville où je réside.

La répression, on l’a vécu bien entendu pendant le camp VMC où les flics encadraient déjà tout le territoire avec des patrouilles qui fouillaient tout et tout le temps grâce aux réquisitions de dingue du procureur… On l’a vécu aussi après, d’abord dans les yeux des habitant·e·s, pas forcément des militants forcené·e·s, juste des habitant·e·s qui n’en pouvaient plus de cette pluie de millions d’euros qui colonisait leurs vies, du mépris des « pro-Andra » les traitants de ploucs arriérés, qui n’en pouvaient plus des contrôles de gendarmes sur la route et des patrouilles des pelotons du PSIG sur les chemins autour de Bure, Saudron, Bonnet ou Montiers…

J’ai vu aussi dans ces mêmes yeux du bonheur et des larmes lorsqu’on a dézingué ensemble le mur de béton armé qui devait emprisonner le bois Lejuc, avant qu’une chouette occupation ne s’y installe pour perdurer pendant vingt mois…

Alors oui, la répression je l’ai vécu aussi en direct sur ma petite personne. J’étais présent lors des premières perquisitions du 20 septembre 2017. Réveillé à 6h par des playmobils en armure avec leurs fusils d’assaut, dix heures à rester contraint de ne pas pouvoir quitter les lieux, dix heures à devoir se taper les blagues pourris des OPJ [Officiers de Police Judiciare] de la gendarmerie de Commercy… À l’époque j’étais encore un peu journaliste, et il m’arrivait d’écrire sur la lutte et à enquêter sur la corruption autour de Cigéo, les faces cachées du projet, toussa. Ce jour-là, nous étions deux dans le lieu perquisitionné, et je n’ai pas décliné mon identité de journaliste, d’abord je savais que ça ne servait à rien, que mon ordi allait être saisi comme tout le reste, carte de presse ou pas, mais je ne voulais pas que leur attitude change à mon égard vis-à-vis de l’amie qui était avec moi. J’ai mis ensuite un an et demi à récupérer mon matos, après qu’il n’a été « exploité » comme ils disent.

Mais cet épisode personnel n’est rien à côté des camarades et ami-e-s qui se sont réellement pris l’association de malfaiteurs dans les dents. Pas seulement les mis en examen qui l’ont payé le plus cher, mais aussi d’autres proches qui ne pouvaient pas « entrer en contact » avec elles et eux. Une enquête policière de ce niveau n’a rien à faire de la vérité judiciaire, c’est fait pour déconstruire les liens humains qui ont été tissés au fil du temps dans la lutte. Et sur ce point, quel que soit le verdict du procès, la justice a déjà perdu, nous sommes là et nous resterons là pour enterrer Cigéo et son monde.

J.

PS – Notre pote Jean-Pierre, alias JPP, autre vaillant participant du camp VMC, se serait associé à ce texte je crois, il est parti trop tôt mais on pense toujours à lui.