Heureusement… c’est pas tous les jours comme ça !

Cela fait près de deux ans que j’habite à Cirfontaines, en Haute-Marne.

Au départ, les gendarmes passaient une fois par semaine devant le jardin. Ils s’arrêtaient à peine devant. Mais quand ils ont vu que je m’installais vraiment là, leur présence s’est accentuée.
Le moment où ils ont commencé à être plus que chiants, c’est quand l’escadron de la gendarmerie mobile s’est installé en permanence au laboratoire de l’ANDRA [1], et à faire des tournées. Depuis, ça a pris un rythme soutenu, permanent, toujours aujourd’hui. Plusieurs équipages peuvent sortir en ronde, de 3 flics dans un véhicule. Rode dans le périmètre proches du Labo.
Quand ils ne passent pas beaucoup, c’est 4 fois par jour. Quand c’est beaucoup, c’est jusqu’à 4 fois par heur.

Cela dépend des groupements de gendarmerie qui stationne au Labo, si les gendarmes sont zélés, ou pas. Des « événements » public ou non. De la chaîne de commandement. De sombres bureaucrate. De la pluie et du beaux temps. Du gel et de leur panne de voiture.


Leur passage n’est pas que lié à des évènements particuliers. Par exemple, il y a quelques jours, je reçois de la visite. Les flics passent une première fois de manière classique : ils voient qu’il y a un véhicule, ils repassent, ils font demi-tour au bout de la rue, ils reviennent, ils ralentissent. Au bout d’un aller-retour, tu sais qu’ils sont passés : le fait de passer plusieurs fois, c’est pour montrer qu’ils sont présents. Uniquement pour nous faire chier. A moins qu’il doivent si reprendre à plusieurs passages pour noté les plaques d’immatriculations sur leur carnet. Mesure systématique, multi-journalière. Ils aiment bien filmé avec leur téléphone aussi.
Cette situation isole forcément les gens qui vivent sur place. Certains me disent ne plus oser venir.

Contrôle et guet-apens


Durant l’été 2018, ils passent en moyenne dix fois par jour. Un jour, je prends mon véhicule, une personne est avec moi. On monte la rue, et là je vois que les flics on caché leur voiture, pour que je ne puisse la voir ; et eux, ils étaient cachés derrière un buisson. Et là ils sautent devant l’auto pour la stopper. Ils étaient trois gendarmes mobiles avec une mitraillette. Ils veulent procéder à un contrôle routier ; mains sur le pistolet, pour détendre la situation ; pas de formule de politesse : ils présupposent mon hostilité. Suite à quoi je leur donne les papiers de mon véhicule, mon assurance et mon permis. Je remets la musique en attendant la fin du contrôle car je sens que ça va être long. Ils reviennent sans mes papiers en demandant à la personne qui est avec moi son identité. Je leur demande la réquisition du procureur, qu’ils n’ont pas. (Ils ont le droit de demander l’identité sans réquisition, mais seulement si il y a présomption de culpabilité – si ils ont des raisons de penser que la personne a commis un fait – ou est sur le point de commettre un fait). (J’ai un contrôle judiciaire avec l’interdiction de voir plusieurs personnes).

À ce moment, une voiture des flics de Joinville, en plus de ceux du labo, viennent se stationner juste derrière ma voiture (5 gendarmes).Le chef des trois appelle ses chefs et demande du renfort, des officiers de police judiciaire. Des officiers de Vaucouleurs déboulent, se garent devant ma voiture, et viennent demander l’identité de la personne. (On arrive à 7 flics sur place). Le flic me dit « vous avez l’interdiction de voir d’autres personnes, c’est à vous de prouver que ce n’est pas une de ces personnes-là. » C’est donc comme ça qu’est justifié le contrôle d’identité de la personne à coté de moi. Il faut donc prouver que l’on est pas en infraction. Incroyable situation.

Le flic rajoute que si la personne ne donne pas ses papiers, ils l’embarqueront de force. Ça fait 50 minutes qu’on est encerlé. Finalement la personne donne ses papiers, les gendarmes les prennent en photo, passent le nom au fichier, ça reprend 5 minutes, ils nous rendent enfin nos papiers, et ils s’en vont. Heureusement que c’est pas tous les jours comme ça.

***

Le dernier coup je reçois la visite de trois personnes. On part de chez moi, on va à pied aux jardins. On voit les flics passer dans un sens puis dans l’autre. Au retour. La voiture de flics monte à fond le chemin : je pressens le contrôle. J’invite les personnes à aller dans un champ, qui est un terrain privé. Une personne refuse, « moi ça me dérange pas », et reste au bord du chemin. Les flics s’arrêtent, sortent, l’un d’eux a une mitraillette, il commence à avancer vers nous. Je leur dis trois fois que c’est un terrain privé, qu’ils n’ont aucune raison d’y rentrer. Sur le chemin, il y a des enfants qui sont à vélo (les flics sont d’ailleurs passé devant eux en trombe). Finalement, ils arrêtent de rentrer sur la propriété, ils contrôlent la personne sur le chemin, prennent en photo sa carte identité, passe le nom au fichier, et repartent. Les gosses regarde la scène.

Ils n’ont pas dit pour quoi ils ont déboulé en trombe, ni pourquoi ils ont contrôlé la personne. Heureusement que c’est pas tous les jours comme ça.

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Un jour, ils étaient garés juste devant la maison du voisin avec un appareil photo sur leur tableau de bord. Flic en civil, voiture banalisé 307 verte pomme.

Un autre jour, j’étais au jardin, en train de travailler sous ma serre, quand les flics se sont arrêtés devant, sont descendus de la voiture, et ont commencé à essayer de nous parler. « Venez là ». Je les ai ignorés. Heureusement que c’est pas tous les jours comme ça.

Perquisition et arrestation

Le 20 juin 2018, j’étais au lit. Une personne est levée, boit un café ; la porte de cuisine est grande ouverte, je ne ferme jamais à clef chez moi. Les flics sont là. Mon pote dehors gueule qu’il y a les flics. Des gendarmes vont directement dans ma chambre, avec un casque anti-émeute. Je n’ai pas vu si il avait dans quelques choses dans les mains. Ils n’ont pas annoncé leur présence. Le seul que j’ai entendu crier « police », c’est mon pote.
Ils sont arrivés à 13 véhicules. Au moment où ils rentrent dans ma chambre je suis à poil. Ils vont aussi dans les autres pièces. Je vois que dans la chambre d’en face, les flics y sont aussi (il y avait 4/5 personnes dans la maison). Deux flics en civil, gendarme de St Dizier, chapeautent les opérations. Je leur dis que je m’habille, ils me laissent m’habiller. Je me fais un thé, et après, ils me demandent de les suivre pour effectuer des fouilles dans la maison. Je ne sais plus à quel moment il me menotte.

Je demande à une personne qui est la, si elle va bien, on se rassure. Ils me font aller dans différents endroits ; comme il y a pas mal de bordel, ils fouillent. Ils trouvent deux trois trucs à droite à gauche, sans intérêt. Ils embarquent des masques de hiboux, des trucs de réparation de vélo, ma casquette.

Je sens qu’ils ne trouvent rien, qu’ils sont là pour fouiller sans savoir ce qu’ils cherchent. Ils sont contents de trouver du matériel dans mon garage, mais en fait, comme dans les autres garages. Ils me montrent les scellés qu’ils prennent, m’invitent à regarder.
Après ils m’embarquent à la gendarmerie de Joinville, me laissent dans une pièce,, environ une heure, difficile de jauger le temps ; un flic de la BMO [Brigade Motorisée] vient, le même qui m’interpella le 17 juin, au retour de Bar-le-duc, en me disant : « Ah, c’est vous ! Monsieur A. ! », très content de dire mon nom. Ce jour là, il m’avait contrôle, et m’avait juste écrit son numéro sur un truc de PQ et m’avait dit  : « appeler moi mercredi », c’était la date de la perquisition. (Foutage de geule). Finalement, ils m’emmènent à Montiers-en-Der. Ils me mettent dans un bureau au fond. Une fenêtre.

Ils présupposent de mon refus de signalétique. Je demande un avocat commis d’office, ils me disent qu’il n’y a pas d’avocat qui arrive. Je leur dis, sans avocat,, pas d’interrogatoire. Après, je demande à être mis en cellule de sûreté. Ils m’en ressortent pour me montrer des photos, pas longtemps, bureau avec fenêtre. Ils veulent que j’interagisse avec eux, réponse mutique. Ils me remettent en cellule, sans fenêtre. Ils me ressortent que pour aller au tribunal de Bar-le-Duc, pour l’audition avec le procureur. J’ai refusé de manger et boire durant la garde à vue. Beaucoup dormi. Avant le rdv avec le proc, je peut enfin voir un avocat. Mon avocat me donne un verre d’eau. On échange bien, me fait un topo. Ça me fait du bien, première contact humain non-hostil depuis des heures. Des infos aussi.

***

Couloir, tribunal. Un flic vient me voir, et me dit : « Oh, il paraît comme ça que tu es jardinier, moi je n’arrive à faire pousser des tomates » « je n’ai pas la main verte, je fais crever tout ce que je touche ». Lol. Je capte pas pourquoi il vient me parler à ce moment-là. Je suis fatigué (de leur cirque, j’ai beaucoup dormis en cellule). Réponse mutique. Et lui il continu comme si j’étais son ami. Que l’on allais parler jardinage, normal, pépère, sur le banc devant le bureau du procureur. Moment nauséeux. Heureusement que je peux échanger quelques regard avec mes co-inculpé.e.s.

Par rapport à cette question de déontologie… ils l’ont perdu, l’institution, et individuellement aussi. Ces attitudes, de faire « ami-ami », rentrer dans ta vie privée, te parler de tes amours, de jardin, comme si c’était normal, alors qu’il est armé. Ils ne se rendent pas compte qu’ils n’ont pas de déontologie.

[1] Une convention a été signée en 2018 entre la gendarmerie nationale et l’Andra. Depuis, l’agence a payé des dizaines de millions d’euros pour assurer, via des gendarmes, la surveillance des habitants. Ils y dorment, y stockent leurs matériels et leurs véhicules et y prennent leurs journées de récupération avant de repartir patrouiller – lire : https://reporterre.net/A-Bure-l-agence-des-dechets-nucleaires-se-paie-des-gendarmes