Je n’ai pas envie de me plaindre. Je n’ai pas connu la prison. Je n’ai fait qu’une garde à vue à la gendarmerie de Commercy, où pendant toute une nuit, on m’a refusé cette simple chose qui permet de vivre : de l’eau. Je n’ai connu que la menace, pendant des années, d’aller en prison sans jugement, simplement parce que je serai allée dans un village particulier, ou que j’aurais traversé une frontière, ou parlé à une personne, dit bonjour à une personne que j’aimais, serré dans mes bras une personne parce que je ne l’avais pas vue depuis sa sortie de prison. Ou que j’aurais juste évité ou oublié d’aller à une convocation, pour discuter avec un fonctionnaire qui n’a rien à me dire, et qui est payé pour ça. La prison me terrifie. J’ai suivi toutes les consignes du contrôle judiciaire à la lettre, tellement la nuit en garde à vue m’a fait peur. Je voudrais que ce procès soit aussi celui de la prison, la prison n’arrête pas la violence, c’est une violence, une torture psychologique sans nom. Je suis à peu près certaine de devenir folle si j’allais en prison. Pendant ma nuit en cellule, je me suis vue puiser dans tout ce que j’avais de force accumulée, pour ne pas tomber dans l’angoisse d’être abandonnée, oubliée dans ce trou, ce cube en béton sans fenêtre avec son énorme porte métallique, ce désert minéral, cette tombe avant la mort où d’autres avant moi avaient gratté les murs et écrit des messages, pour ne pas se sentir totalement seuls. Je remercie la personne qui avait écrit : « Garde la pêche ». Je ne m’attendais tellement pas à être arrêtée, à cette gloire subite d’avoir une vingtaine de flics rien que pour moi, alors que j’étais dans un pré, au soleil, en train de faire un atelier clown avec des amis. Je savais que d’autres militants avaient été arrêtés avant moi, mais c’était tellement évident pour moi que je n’avais rien fait de mal, qu’au contraire j’avais milité contre la violence, contre les souffrances qui pourraient être évitées avec un système social moins pourri.
Apparemment, du point de vue de l’état, c’était moins évident. Quand on m’a signifié mon arrestation pour violences, ça m’a paru tellement absurde, et puis je me suis mise à pleurer, en me sentant comme la petite fille que je suis toujours, celle que des hommes suivaient dans la rue et agressaient. Elle est où la violence, merde ! Une fille sur cinq, un garçon sur treize, subit des violences sexuelles avant dix-huit ans, et il n’y a aucun flic pour empêcher ça, alors il faut peut-être autre chose que des flics et de la taule, parce que ça sert à rien ! Pendant que je parle, une petite fille se fait violer par son père, son oncle, un ami de la famille, pendant des années, parce que ces gens-là se sentent le droit de le faire, ils savent que la société, et notamment la justice, va les protéger même de la honte. « Tout le monde fait ça. », comme l’a si bien dit Olivier Duhamel quand on l’a accusé d’avoir violé son beau-fils de 14 ans. Par contre, militer contre le nucléaire, tout le monde ne fait pas ça… essayer d’empêcher que se reproduise un massacre industriel comme Tchernobyl, manifester en noir et en violet à paillettes, ça, ça vaut le coup de payer des impôts pour qu’il y ait des flics, des juges, des conseillers pénitentiaires et des greffiers qui s’occupent de ça pendant des années ! Pour le nucléaire, comme pour le viol, il fallait briser le silence. Seule la parole peut empêcher la violence massive, systémique, de se reproduire de génération en génération. Et c’est notre parole aujourd’hui qui est devant les tribunaux, pas les pétards et les cailloux, pas les panneaux de signalisations et les clôtures pliés. C’est le fait que nous avons osé parler de la violence invisible du nucléaire. Et que nous en avons eu marre de demander poliment à l’état d’arrêter de faire de la merde.