Je suis arrivé après la première vague de perquisition. C’était la première fois que je débarquais dans un lieu où il était clair pour tout le monde que la police pouvait débarquer à n’importe quel moment, où il fallait faire attention aux affaires personnelles, aux ordinateurs. Un des sujets hyper importants était la sécurité informatique[…]
ça m’a un peu obligé à me former très rapidement sur cette question là et je pense que ça dit beaucoup de chose.
J’ai commencé à utiliser des outils que j’aurai jamais utilisé sinon et probablement j’aurai fait partie des personnes qui se seraient fait perquisitionner un ordinateur Windows si j’étais arrivé avant.
[J’étais dans le coin] pour la vague de perquisition où ils ont arrêté plein de gens. On avait les nouvelles dans la journée de « il y a untel qui s’est fait perquisitionné » « là une perquisition aussi », c’est un peu impressionnant d’avoir tout ça en même temps. On sait pas pourquoi (enfin on se doute que c’est dans le cadre de l’enquête), qui, à quel point ils saisissent du matériel dans les lieux, à quel point ils arrêtent beaucoup de gens, ce que risquent les gens.
Les ateliers de sécurité informatique… ça m’a aidé, les ateliers pratiques et le fait que ces sujets là soient beaucoup abordés, ça fait que je sais que je peux être surveillé d’une manière ou d’une autre, soit par téléphone, soit par les trucs que je laisse traîner. On sait qu’il y a de la surveillance concrète, qu’elle existe, qu’il y a des écoutes téléphoniques etc. Quand j’avais encore un téléphone – d’ailleurs, le truc que ça a changé : j’ai plus de téléphone ! … Quand je suis au téléphone je sais pas si je suis sur écoute. Mais ça impliquait de partir du principe que je suis surveillé, sans tomber dans un truc de « moi personnellement je suis surveillé tout le temps », je sais pas si pour une raison ou une autre je suis au centre d’une enquête ou pas, mais qu’en tout cas c’est possible.
[…] J’avais tendance à aimer discuter au téléphone, à raconter un peu tout ce que je faisais dans ma vie. Pas forcément des trucs très spécifique illégaux, mais en tout cas ne pas être prudent pour des informations qui pourraient être utile dans le cadre d’une enquête et sur où j’étais à quel moment, à quelle manif’ des choses comme ça. Au fur et à mesure j’ai pris conscience que tout c’est des choses que je devais arrêter de dire au téléphone, ce qui était un peu compliqué. Il y a des personnes, notamment dans ma famille, avec ma maman notamment, je parle beaucoup avec ma maman c’est une personne dont je suis proche, j’ai envie de pouvoir partager ma vie. Et de me dire « non là je lui dis pas » et si je lui dit des trucs ça sera de vive voix quand je la verrai dans 4 mois, c’est pas évident.
Comme ce qui peut être à charge [dans une enquête], c’est extrêmement vaste, des fois juste confirmer qu’on est à un endroit peut être utilisé dans une enquête sur nous… Ca pose beaucoup de questions dont j’ai parlé avec des gens avec qui je téléphone régulièrement, peu à peu on se dit de moins en moins de trucs mais en étant conscient que c’est pas parce qu’on a plus envie de se parler. Pendant longtemps quand j’étais au téléphone avec ma mère ou avec d’autres gens, des fois je disais des trucs et pour le flic qui m’écoute je précisais ce que je voulais dire « Non non je suis pas en train de dire que … ! ». Quand j’étais au téléphone avec ma mère presque systématiquement je parlais au flic. Il y a une troisième personne.
Il y a un moment où j’ai vécu une histoire amoureuse assez forte et au début j’évitais d’en parler au téléphone et j’ai pas réussi à tenir ce truc là et j’ai fini par en parler au téléphone. J’ai pas envie que ma vie amoureuse soit écoutée par des flics, que ça soit utilisé contre moi, contre d’autres personnes, j’ai pas envie qu’on me fasse des blagues là dessus pendant une garde à vue. C’est bizarre parce que c’est des trucs qui remuent tellement que ça donne envie de le partager très vite. Finalement j’ai fini par dire beaucoup de choses quand même parce que c’était compliqué à gérer pour moi, c’est vraiment pas que un truc de pas dire que je suis allé en manif’, quoi. Je dirais même que c’est moins difficile, ça me semble moins dangereux pour moi de dire que j’ai été à une manif’ que de dire que j’ai une histoire amoureuse.
Je me dis aussi : qu’est ce que ça attire comme surveillance sur les gens si à un moment je me trouve au centre d’une enquête. Ca veut dire que si ils m’écoutent ils vont surveiller ces personnes parce que c’est des personnes avec qui je vais être en contact. Ce qui est assez pratique pour moi c’est que ma mère a assez vite compris ces enjeux là de surveillance et elle était elle-même prudente dans ce qu’elle me posait comme questions, quand je répondais pas à une question elle insistait pas.
[…] C’est pas tellement un truc de cacher des informations… En ayant un téléphone sur moi j’avais l’impression de leur donner spontanément plein d’informations sans même qu’ils aient à chercher.
[C’est aussi] m’empêcher d’aller me balader parce qu’il fait beau. J’ai envie de sortir dans la rue et je sais que j’ai une chance importante de me faire contrôler et ce jour là peut être j’ai mes papiers sur moi et tout ça mais j’ai juste envie d’être plongé dans mes pensées j’ai juste pas envie d’avoir un contrôle de flics. C’est pas que je peux pas le faire, c’est juste que ça donne moins envie, quoi. A un moment je reçois un coup de téléphone de ma mère, je me dis « oh ben je vais aller dehors pour téléphoner » et juste devant chez moi, à moins de 10m de là où je vis, je suis au téléphone et je me fais contrôler et j’ai passé tout le contrôle d’identité au téléphone. C’était un peu rigolo, pour le coup c’est un moment de ma vie que je partageais et ça a fait marrer ma mère aussi, mais bon quoi, quand même c’est pas ce que je m’attendais à faire ce jour là. Je parlais de manière un peu moins libre de ma vie privée avec quatre flics autour de moi.
Ca dépend des périodes, il y a des moment où je me dis « je m’en fiche, si je me fait contrôler, tant pis, je les ferai chier plus qu’ils me font chier » et il y a des périodes ou j’ai pas le moral et j’ai pas envie de me confronter à eux.
Ca réduit depuis la période des perquisitions, parce qu’il y a moins de contrôles généralement. On spécule beaucoup sur le comportement de la Gendarmerie, de pourquoi ils contrôlent plus ou moins à des périodes, des fois on se dit que la lutte est très intense, du coup ils contrôlent plus, et là elle est plus faible et ils contrôlent moins. Des fois on se dit qu’ils ont perdu des procès, notamment les procès où les réquisitions du procureur ont été invalidées et on pense que ça a influencé leur manière de contrôler, le changement de procureur aussi. Finalement on est beaucoup dans la spéculation et on comprend pas très bien pourquoi ils font quoi à des moments. Rester au stade de l’hypothèse c’est important et de pas trop être persuadé que si ils font ça c’est pour ça. Ce qui est clair c’est que sur l’année passée il y a eu beaucoup moins de contrôle que sur les années précédentes. [En 2021] il y a eu un escadron de Gendarmerie qui a beaucoup contrôlé, l’escadron de Bellac, c’était vraiment sur une période précise et ça correspondait à la présence de cet escadron, donc là l’hypothèse de « c’est les habitudes de l’escadron » est assez plausible et on va voir ce que ça va donner par la suite.
La répression c’est pas que l’instruction, mais aussi d’autres éléments de ma vie, ça a changé d’autres choses, déjà je rêve de flics, souvent. Il y a encore deux ou trois nuits j’ai rêvé que je me faisais arrêter, soit je me fait contrôler, soit des amis se font arrêter, c’est quelque chose qui est très présent et qui est même pas surprenant. Je me lève pas en me disant « Oh non j’ai rêvé de flics, c’est horrible ! », juste j’ai fait mon rêve de flics de la même manière que « cette nuit j’ai fait un rêve érotique », c’est des choses qui arrivent. Les deux mélangés ? j’ai jamais eu haha, ça viendra peut être.
Ca a changé mon rapport à la prison aussi, avant c’était un truc assez lointain, parce que je viens pas d’un milieu ou les gens autour de moi vont en prison. C’était un truc théorique, je savais que c’était pas bien parce que j’avais appris ça, politiquement. Mais le fait d’avoir des personnes proches de moi qui soit vont en prison, à qui je rends visite, soit qui risquent la prison de manière assez forte là, avec le procès qui arrive, ça fait que la prison devient un sujet de conversation, j’imagine si j’allais en prison, qu’est ce que dois faire, les personnes que je dois prévenir, les livres que j’aimerais qu’on m’envoie. Ça devient un sujet assez « pratique », en tout cas beaucoup plus proche et assez effrayant.
J’étais pas là avant les premières perquisitions, donc j’ai pas vu d’avant et après perquisitions, […] j’ai surtout connu un avant et après expulsion du bois Lejuc. […] Les perquisitions de juin [2018] allaient dans la même lignée, moralement ça n’a fait qu’étendre ce truc, il y a beaucoup de personnes qui n’allaient pas bien dans cette période là du fait de la répression et ça a rajouté une couche et du stress.
Le fait que les personnes n’ait plus de contrôles [judiciaires], ça change quelque chose dans le rapport à ces procès, à cette enquête, les personnes repassent ici, quoi. C’est assez chouette (fin vers 30 minutes)
Il y a quand même des discussions sur les contrôles d’identités etc. et sur de la « sensibilisation » sur le cadre légal de l’action de la Police. C’est compliqué de faire de la sensibilisation là dessus en étant pas anxiogène. C’est hyper intéressant, je ne connais nulle part ailleurs où les gens sont autant au courant de ce que les flics ont le droit ou pas le droit de faire. Souvent les gens sont plus au courant que les flics eux-même. Ca fait partie des choses à savoir quand on vient ici. « Là c’est la cuisine, ça c’est le brief légal… » haha.