Témoignages issus de la collecte de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH)

Témoignage de Christine D.
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Témoignage de Jean-Pierre Simon, recueilli le 05/04/2019 à Cirfontaines-en-Ornois

Les gendarmes passent toutes les 2h, y compris la nuit. Ils ont des circuits réguliers, avec une liste des points sensibles, des maisons et des habitants à surveiller : ils passent tout doucement devant chez moi, font éventuellement des demi-tours s’il y a des véhicules garés qui ne sont pas là habituellement. Ils filment ou prennent des photos en permanence et la nuit, quand il reste des véhicules, ils sortent les mad-lights. Je ne me fais pas trop contrôler (pas sur la commune en tout cas). Je pense que c’est parce que je parle aux médias.

Je remarque des différences de traitement entre les habitants historiques et les nouveaux habitants. J’ai conscience que tous ne peuvent pas ou ne veulent pas témoigner en donnant leur carte d’identité, alors je voudrais aussi parler un peu en leur nom. Je vais vous raconter quelques anecdotes que j’ai vécu.

J’avais prêté ma carriole à un copain pour qu’il puisse emmener une botte de foin pour ses moutons. Les gendarmes mobiles l’ont contrôlée et ont trouvé un pneu lisse sur la carriole. J’y suis allé, peut être j’aurais pas dû. Ils ont fait venir les OPJ [Officiers de Police Judiciare] de Void-Vacon ou Vaucouleurs pour verbaliser. Ça a pris longtemps, ça a bloqué la route, c’est du n’importe quoi ! J’ai été verbalisé, quand bien même j’aurais pu aller chercher la roue de secours chez moi. (c’était juste à coté)

On revenait vers la ferme depuis le village, les gendarmes nous ont suivis en voiture . Ils sont descendus pour faire un contrôle d’identité à tout le monde. Ils avaient une façon d’intervenir très agressive. Pour certains d’entre nous, c’était le 2ème ou 3ème contrôle de la journée.

Dès lors qu’il y a de l’animation, quand bien même c’est complètement privé, le collectif est sur surveillance élevée jusqu’à dispersion des gens. C’était le cas pendant la semaine de septembre. Les véhicules sont suivis pour récupérer les plaques d’immatriculation. Depuis l’expulsion, dès qu’il se passe un peu des choses, on voit l’hélico. Il y a même un drone qui survole Mandres. Même si on a rien à se reprocher, c’est usant. On se sent suspecté en permanence.

Ils ont les P4 (les jeeps militaires) ce qui leur permet de se déplacer sur tout le territoire et en particulier sur les terrains privés, sur les parcelles d’exploitation. Du fait que ça soit tournant (les équipes changent toutes les 3 semaines) ils doivent avoir une carte avec les chemins communaux, mais certains n’existent plus. Du coup ils passent par les zones de culture. Par exemple : pour surveiller un jardin de militants, ils passent par un chemin communal qui est noté sur leur carte mais qui s’arrête en réalité avant de rejoindre la route. A la fin de ce chemin, il y a mes champs. Une fois, les gendarmes (sans doute une nouvelle équipe) ont quand même essayé de forcer le passage jusqu’à la route. Ils se sont plantés, puis un camion est venu les chercher et est passé sur les cultures. J’ai pas de preuve que c’est eux mais j’en suis quasi sur. Ils ont laissé des grosses traces dans les champs. C’est dur d’avoir les preuves, car en hiver, personne n’y monte à part eux. Et de toute façon, sans vidéo, c’est ma parole contre celle des gendarmes.

En juin 2016, on a été faire un pique-nique dans le bois Lejuc. J’ai prêté ma bétaillère et mon tracteur pour les besoins logistiques. Du fait du début de travaux illégaux, le pique-nique s’est transformé en occupation. J’ai laissé mon tracteur et ma bétaillère devant le bois pendant 3 semaines, puis à l’expulsion, les gendarmes les ont saisis et les ont mis en fourrière. J’ai attendu pendant 16 mois, jusqu’au rendu de mon procès, pour pouvoir les récupérer. En effet, après une série d’audition, pour complicité à une « installation en réunion sur le terrain d’autrui en vue d’y habiter », j’ai été condamné à 2 mois de prison avec sursis en octobre de l’année suivante.

 

Témoignage de Robin Pagès

J’atteste sur l’honneur avoir été victime et témoin de faits graves, d’une violence extrême, commis par les militaires de l’État français, à savoir la gendarmerie mobile, le 15 août 2017 à une manifestation contre le projet CIGEO sur les territoires de Bure et Saudron.

Après avoir copieusement inondé de gazs lacrymogènes les rue et les champs de Saudron et déjà blessé plusieurs manifestants, les gendarmes mobiles ont fait un usage massif sur la manifestation de grenades dites de « désencerclement » ou « assourdissantes », en fait d’ armes de guerre contenant de la TNT pouvant mutiler voire tuer.

Nous étions dans un champ vide, à plusieurs kilomètres des laboratoires de l’Andra. Il n’y avait donc rien à protéger. Je n’étais en aucune façon un danger pour les forces de l’ordre. J’étais juste là, à observer de loin, à 100m des lignes de gendarmes mobiles quand une grenade GLI-F4 (26g de TNT) que je n’ai pas vu arrivé a explosé à coté de mon pied gauche. La chaussure que je portais a fondu sur le coup laissant apparaître non seulement mon pied nu mais plus encore l’intérieur de mon pied : tendons, os, muscles, orteils, le tout brûlé et en bouillie. Avant que « ma » grenade explose j’ai été témoin de 2 explosions qui m’ont déjà paru terrifiante sur le coup. La première au niveau du sol, à seulement 3m d’un manifestant, la deuxième À HAUTEUR DE TÊTE à seulement 5m de plusieurs manifestants. Si cette deuxième grenade avait explosé sur quelqu’un, il n’y a aucun doute qu’il serait mort à l’heure qu’il est. Pour rappel, l’explosion de ces grenades fait une déflagration de 1m de circonférence et outre le fait que les gendarmes mobiles puissent les lancer à la main, il peuvent aussi les tirer, avec le « lanceur Cougar », montées sur des propulseurs de 50, 100 ou 200m. On voit que c’est dans leur conceptions même que ces armes sont barbares : comment à 50 mais plus encore à 100 ou 200m peut-on prétendre être sur de ne pas toucher quelqu’un ? C’est impossible. Le 15 août 2017, les gendarmes mobiles, en tirant SUR la manifestation, en l’espace d’une minute, 15 de ces grenades effectivement jusqu’à 200m d’eux-mêmes ne pouvaient que faire de nombreux blessés voir des morts. Il y eu ce jour là 30 blessés dont 4 graves.

Dans un état de douleur atroce, j’ai été sorti du champ sur un brancard porté par des manifestants. Les explosions continuaient autour de nous. J’ai senti le souffle de l’une d’entre elle alors que nous étions environ à 200m des gendarmes.

J’ai été emmené par les pompiers en urgence au CHRU de Nancy où mon pied a d’abord été vidé et nettoyé du plastique fondu de la chaussure, des éclats de la grenade, des débris d’os et de la bouille de chair dont il était rempli. Ensuite, les os ont été remis en place ou provisoirement remplacé avec des broches, des prothèses et du ciment. Sur un diamètre de 13 cm et jusqu’à 3cm de profondeur, peaux, veines, nerfs et muscles ont été arrachés. Multi-fractures avec déplacements des os et pulvérisation du métatarsien du gros orteil. De nombreux éclats de métal se sont incrustés dans ma jambe droite (certains y sont encore aujourd’hui)

Le seul geste que j’ai reçu de la part du ministère de l’intérieur suite à cet évènement qui a noirci ma vie, fut une visite de 2 gendarmes pour un interrogatoire et une perquisition de ma chambre d’hôpital. Aucun dédommagement, aucunes excuses d’aucune sorte. Vous n’aviez pas à être à cette manifestation M. Pagès.

Aujourd’hui, après 14 mois d’opérations, de multiples souffrances, de greffes (de peau, de chair et d’os) et 6 mois de rééducation intensive en centre, je suis arrivé au stade de la séquelle.

Je garde un sérieux handicap : mon pied « reconstruit » ne pouvant supporter la marche plus de 2-3h par semaine (toutes activités confondues) sans me causer des douleurs aiguës.  En effet, l’appui sur l’avant du pied reste très douloureux et il me faut souvent reprendre les béquilles pour me déplacer dehors comme dans mon appartement. Je doit rester jambe en l’air plusieurs jours pour revenir à un stade de douleur me permettant de reprendre à nouveau, et pour quelques instants, appui sur mon pied.

Je suis abasourdi par le silence médiatique qui a fait suite à cette manifestation. Les forces de l’ordre française peuvent donc tirer des grenades avec TNT sur les manifestants ? La France est le dernier pays d’Europe a utilisé des armes avec TNT dans le maintien de l’ordre. Pas un français sur 100 est au courant de cette réalité.

Robin Pagès